YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 88/99, Chapitre 28 -fin. Juste le temps d’aller à pied à la gare.

Retour – dernier mot- Jardin Rose. J’ai déjà oublié les oeuvres de la MLS Home Gallery, qu’efface l’indifférence aux babioles – celles-ci, aussitôt identifiables babioles. Je suis planté comme l’un de ses lauriers au milieu de la cour, parmi les pots fleuris, l’acacia, bermuda bleu, mocassins de veau, chemise bleue légère, un peu en sueur car les rues auront encore été très chaudes, et je ne marche que du côté soleil. Question de peau et non de principe.

Elle fait ce geste, mi sourire mi grimace, le mouvement toujours un peu dérisoire d’essuyer des larmes.  « Alors, tu pars encore ? Et Bologne ce soir, toujours seul, l’avion demain matin ?

La prochaine fois, tu sauras que c’est idiot de changer à Bologne, il y a la navette directe Ferrare/avion, tu t’en souviendras, la prochaine fois ?». 

Et s’il n’y a pas de prochaine fois ? Silvia connaît les réponses. Dans notre bizarre méli-mélo de  vocabulaires, je confirme : pourquoi pas ? Je ne dis pas que je dois revenir « valider » le travail de l’artiste sur mon cadeau d’anniversaire, trois miroirs à tiroirs à Ferrare. Silvia reste sur la terrasse, au bord de la rambarde en fer forgé dont le claire-voie laisse la voie claire aux regards. Son buste, toujours droit tenu, est couvert d’un T Shirt noir très ajusté, elle porte son ample robe blanc-crème, large, légère. En contrebas, je lui parle, évitant de trop lever les yeux vers cet en-dessous de la jupe qu’une attention aiguë permettrait d’explorer avec davantage d’impudeur.

Silvia perçoit l’équivoque de notre position, et ma prudence. Cela ne la trouble plus. On s’en doute, la veille, ce soir du dîner rieur et tendre à la terrasse du « Vieux Ghetto », nous fait complices autrement. Elle dit quelque chose du genre : « Caro, ne bouge pas, je descends de suite », mais elle attend un peu avant de le faire. Dans l’esquisse de son mouvement, la minute plus tard, impossible de savoir si l’à peine perceptible zone sombre aperçue est faite de toison brune ou de dentelle noire. On s’en fiche, on ne va pas faire des notes de visite sur des strings et des magnolias, ce n’est pas le genre de l’Agence, très bien élevés sont les Juniors, qu’ils aillent en paix pour les siècles et les siècles.

Ensuite, dans le jardin de la rue Belfiori, nous avons une brève étreinte ressemblant à celle de l’arrivée, en plus tendre, plus légère et profonde : on se connaît mieux, un peu. « Es tu content de ce que tu as trouvé  ici ?» demandera-t-elle, à nouveau, et c’est une forme de question sur un troisième passage ici, ou pas ? Nous n’avons pas d’adieux émus, et nous ne parlons pas de notre soirée, notre dîner bavard, avec Ipad, à la terrasse du Vieux Ghetto, on s’en souvient? Ce qui sera désormais « le soir du Vieux ghetto, rue Vittoria », émouvant et joli souvenir pour les siècles et les siècles à venir d’un homme de soixante-dix ans, dans cette rue où il a fait si bon vivre, toujours et aussi ce soir là. Et si tiède. Et si longtemps. Et le retour ensemble au 33 B rue Belflori, ainsi de suite.

Petits baisers, sa main sur mon épaule gauche, la mienne parcourant ce dos de la nuque à la limite qu’impose la pudeur publique, on dirait de vieux amis se quittant pour les vacances, des colocataires un peu vieillis, des cousins ce Sardaigne vivant à Ferrare.


Après toutes ces paroles, attentes, redites, photos, rêveries, notes et fragments, plus rien à faire devant la maison de Bassani, et d’ailleurs j’ai juste le temps d’aller à pied à la gare, pour le dernier train. Aujourd’hui, sur l’Iphone, on l’annonce sans retard. Alexandrin bâtard qui triche comme un touriste.

Il fait chaud, et- comme à l’arrivée- on sent le surgissement prochain de l’orage. Il va pleuvoir sur la mémoire et le jardin Bassani.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 88/99, Chapitre 28 -fin. Juste le temps d’aller à pied à la gare. A suivre…


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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 87/99, Chapitre 28 – autre milieu au milieu. L’espérance fait partie de la brume ?

Je quitte l’appartement-galerie, tout entier construit sur des images réelles ou mentales de Ferrare. J’ai payé sinon de ma personne, au moins de mon écot. Si les Juniors ( vrais maîtres à bord) de l’Agence ne « valident » pas les trois miroirs pour cadeau d’adieu…je leur augmenterai mes honoraires.

En bas, tirant le double vantail de bois ancien et un certain bonheur puéril de cette dépense-farce, je reçois une bouffée de soleil. Le Corso parait large et simple. J’hésite, ça donne vraiment une envie de flâner pour rien dans le jardin de Giorgio Bassani, le véritable jardin du super Giorgio, le génial jardin de Bassani, etc.
Et d’envoyer une photo à cette Stéfania CAMORASINI : acheteur en sueur devant le magnolia. J’essaie : Iphone, un passant égaré, il me dit se prénommer Claude ( et alors ?), touriste probable, il fait l’image.

Finalement je ne prends pas la direction de ce jardin-là.
Je range la carte de la galerie : rêver, passe encore, mais décrire à cet âge ? On n’y résiste pas.
Je reviens à ma visite du banal et de l’actuel en poussant le chemin, une dernière fois, jusqu’à La Mura. Mais je hâte le pas, désormais le temps presse. Soixante-dix ans sous le boisseau. Sous les arbres épais et sur l’allée large en haut de La Mura, des joggeurs des deux sexes butinent les calories brûlées. Des Ferraraises amputées de leur vélo se vengent du soleil. Déjà dit, devant ces corps qui font le tour (9 km, 10 km ? Je dois vérifier le chiffre pour le rapport) de la ville au-dessus de la ville : Ferrare est son enceinte, comme une matrone qui accoucherait d’un souvenir sale que sa propre mémoire enclot dans un ventre distendu, les muscles sont trop faibles, il faut y aller au forceps, et les souvenirs viennent au jour avec des bosses et des bleus.
Sans l’épaisseur trapue de ses remparts, la ville serait un crabe privé de sa carapace. Dans les textes de Giorgio Bassani, La Mura – étrangement- est à la fois tout, la ville, et rien, la limite. Ferrare est un cœur sans corps ? La MLS Gallery est le centre chiffré de ce corps absent? On le voit : soleil rude et rue, ou propos flous du galeriste accablent la raison.
Dans la rue, je regarde en marchant les photos prises dans la soupente, MLS Home Gallery . C’est ainsi, parce que je regardais ailleurs lors de mon premier séjour, que la maison de Bassani avait réussi l’esquive.

En 43, mais cela Bassani ne l’écrit pas, un soir de brouillard, peu de jours avant l’assassinat Corso Roma, – « Une nuit de 43″, vous vous souvenez?- onze résistants de « mouvances » diverses se sont donné rendez-vous « Alla Mura » au pied de la porte sans nom sur les cartes. C’est plutôt une brèche volontaire, une interruption de continuité formée par la toute petite via Murelio terminée là en perpendiculaire. L’espace, dans les brumes du mince Po di Volano tout proche, propose des recoins et des géographies confuses, ombres et lumières éteintes des lampadaires. La proximité des bastions sortis en « dents » et de chemins, et dans les murs, celle du musée archéologique (dont l’un des conspirateurs présents est conservateur et possède les clefs) ou celle- de l’autre côté du mini fleuve- l’épais abri de la Chiesa di S.Giorgio ( !) où le bedeau est complice, prêt à protéger toutes les fuites, peut-être par les fameux (et maintenant perdus) tunnels clandestins des Juifs, tous ces lieux de l’ombre et de la fuite apportent le plus grand nombre de sûretés possibles. Leurs embrassades rapides, pour les onze trois baisers, rappellent que l’espérance fait partie de la brume.
Sept minutes suffisent pour touver l’accord. Davantage serait dangereux? Entre eux tous on répartit les tâches, les messages, les secrets. Ce soir-là, est décidé le destin de Ferrare à la Libération, qui sera puni, qui sera épargné, quels seront les alliés. Ce qui sera dit, ce qui restera tu, sur tout cela qui fera le Secret, car c’est ainsi qu’on muscle l’Histoire. Ensuite, de toute façon, Alzheimer, celui de Bassani, celui de Ferrera tout entière à cela attachée.

Peu de jours après, trois d’entre eux font partie des corps effondrés auprès desquels « le chef » et quelques fascistes montent la garde sous le regard (mais non, il n’a rien vu, il dormait) du pharmacien paralytique. La Nuit de 43. « Une Nuit de 43 ». Celle-là.
Redescendu au niveau de la rue, au pied de La Mura, je prends une fois encore,( la dernière ?) les vias qui rapprochent du centre dans le cercle au centre du cercle, le jardin rose. Le soleil reste violent et moi brûlé. Le portail claque et la porte-fenêtre grince, deux chats s’enfuient, le monde récupère son élasticité fantasque.
« – Et alors ? » demande Silvia, depuis la terrasse du second, sans que je la voie.
Je réponds que c’est beau, compliqué, la MLS GALLERY, un peu trop ésotérique pour mon maigre savoir, ce qui la fait rire. Elle ne se montre pas. Faisait-elle la sieste au soleil ? Ecrivait sur le Livre d’Or avec de l’encre rouge soulignée de Bleu Klein ? Se prenait-elle pour Bardot dans « Le Mépris », allongée sur le ventre et sur la terrasse? « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? ». Personne pour répondre, même pas Michel Piccoli ?
Persistant au milieu de l’invisibilité, Silvia dit : « Toi te voici de nouveau quittant ton ‘home’ de Ferrare ». On bafouille des à-peu-près gratifiants sur son jardin caché dans les ombres, sur les chats, sur cette cour maquillée de couleurs, sur le temps radieux, même trop chaud, j’étais presque chez moi, rue Belfiori, numéro 33 B, oui, je le sais. Tu reviendras ? Qui le sait ? Tu reviendrais, si tu savais ?
Dans le petit salon du rez-de-chaussée, les bagages sont prêts, une valise cabine pour l’avion, un mini sac en bandoulière, et les outils nécessaires à ma tâche : tablette, tout petit appareil photo ( et les mauvaises photos se retrouvent ici depuis le début), bloc-notes. J’y ajoute parfois sandwiche, tomate, et yaourt à boire, vieille habitude d’homme pressé contraint à se passer de déjeuner.

Pas eu le temps d’acheter, cette fois, et la gare de Ferrare est démunie comme un arrêt de bus en banlieue est de Paris. Bien la peine de se dire ducale et sertie d’étoiles.


Je bois un verre d’eau fraîche à défaut de café ou de Spritz. Je suis arrivé, il y a si peu de jours,( mais ça fait si longtemps pour vous ) dans le seul but de voir le jardin de Giorgio Bassani. La fois d’avant, je n’avais pas pu trouver la maison, je manquais de temps, et cette fois j’ai pu voir la fameuse tombe du Bassani, et celle des Finzi-Contini. Et tous les autres que la profondeur contient ici, ceux d’avant 43 ou d’après 45. Entre temps: rien.

Donc c’est gagné, rapport complété ? Lors du premier passage, il n’y a même pas deux mois, j’avais quitté de très bonne heure le jardin rose de la rue Belfiori, sans qu’on puisse se dire adieu comme il faut, Silvia et moi, d’ailleurs on se connaissait peu, enfin pas comme à présent, bien sûr, et à mon arrivée, la deuxième, il y a trois ou quatre jours, elle a fait une moue : « Au moins, cette fois, on se donnera la bise du départ ? »

C’est à cette question que, rassasié de Ferrare, de Mura, de jardins, de vélos, de shorts, de ristretti, de carte au Vieux Ghetto, de shorts encore et d’impasses toujours, je réponds quand Silvia me fait signe d’attendre, depuis sa terrasse au deuxième étage, ré-apparue, debout maintenant, visage rafraîchi sans doute par un jet d’eau glacée. Silvia aurait envie de savoir ce que j’ai pensé de tout ça, la galerie, les chemins pour fantômes, et si j‘ai enfin des réponses, si c’est donc gagné ?.. Si donc- je ne retournerai plus jamais à Ferrare- malgré les désirs de récits pour ceux de l’Agence ?

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 87/99, Chapitre 28 – autre milieu au milieu. L’espérance fait partie de la brume. A suivre.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 86/99, Chapitre 28 – milieu. Le plus central de mes cadeaux pour un soixante-dixième anniversaire.

Dans la MLS HOME GALLERY , un beau-frère de Silvia ( authentique celui-là?), me fait l’article des œuvres, à commencer par une édition viennoise de « Histoire de l’œil » au titre très ironique, dans la série « Regards d’Aujourd’hui » – majuscules en enluminures.
Une exhibition contemporaine pour amateurs avertis ( à défaut de quoi, posées ailleurs, ces piles de petits formats usagés, enserrées de lien rouge et ficelle dorée comme pour un cadeau de noël, auraient toutes les chances de finir vite fait chez le plus proche Emmaüs, pardon Sarah Berstein , artiste conceptuelle née à Modène…) Je pourrais apprendre, plus tard, qu’elle connaît bien Erika, si je persévérais dans mon enquête. Mais à quoi bon chercher les liens discrets? ici, le centre absolu de l’histoire reste le jardin de Giorgio Bassani, malgré les tentatives de diversions, dérives, digressions que porte chacun de ces noms, chaque récit de prénom, Stéfania, Erika, Silvia, sans omettre les seconds rôles, serveuse de Gourmet Burger, étudiante de Sorbonne….
La visite est jolie, les œuvres étonnantes, parce que tout résonne selon peu de clés : Ferrare « Dentro la Mura » tous temps historique mêlés, les nombres – Pythagore, la Kabbale – une forme d’ésotérisme simplifié, la Renaissance et avant tout les femmes, dont Lucrèce Borgia, qui fut d’abord épouse d’un Este, les ducs de Ferrare. Ensuite, ça s’est plutôt gâté, comme toujours avec cette goûteuse famille.
Dans le couloir, du sol au plafond, parfaitement éclairés, quatre tapisseries assez inspirées de la savonnerie, mais en laine crue à brins épais – du pur Alpaga roux beiges et bruns, interprètent, chaque fois sur une tonalité différente, une vue sérieuse de Ferrare. Le prix, que je demande par pure curiosité sociologique, est carrément fixé en dollars saoudiens. Pourquoi hésiter à dépenser puisqu’on est ici?

Plus tard, me guidant toujours, le galeriste lève la tête, dans ce qui fut l’un des grands salons : au plafond, une Constellation de points d’une voie lactée qui représente de nouveau Ferrare, mais -indique le guide en montrant du doigt- « les planètes sont dans la position qui correspond à leur place dans l’horizon, enfin le ciel, à la date de – moi, depuis, j’ai oublié laquelle –et ce soir-là, ce début de nuit, nous avions invité trois cents personnes à une performance-déambulation dans les rues de la ville, partout depuis le centre politique, le château, jusqu’à la Porta degli Angeli, la faille dans La Mura, puisque, et nous en avons les preuves grâce à des archives indiscutables, eh bien nous savons qu’une partie des édifices aux environs de ce trajet, bâtiments qui sont les plus célèbres de Ferrare, dont le Palazzo dei Diamanti, nous savons qu’ils ont été disposés selon la position des astres à toujours cette même date, une date de l’année 1498, vous voyez le rapport, l’année de l’expulsion là-bas et de l’invitation ici, et selon des principes où les chiffres de la Kabbale ont joué un rôle lui aussi déterminant : le Duc, invitant les Juifs à se réfugier, prenait toutes les précautions avec les diverses variantes du Ciel et des Dieux – ce qui fut de sage politique…Invitant les Bohémiens, il aurait construit la ville en boule de cristal, finasse le galeriste. Cette idée nous fait sourire, c’est un truc dont il use sans doute à chaque fois. Tant que ce n’est pas une nuit de cristal, ça va. Surtout ici. Mais nulle part, d’ailleurs.« 
« La kabbale, dans cette ville, explique beaucoup de tracés, offre des réponses à bien des surprises. Dans beaucoup de villes les nombres portent l’explication des géométries invisibles, et vous connaissez bien Paris pour cela. Etoiles et chiffres, c’est Ferrare, les cerveaux des architectes et les émotions des princes, les amusements des sorcières et des prostituées pour qui les comptes clairs font les bonnes pratiques. « A Ferrare, et voici pourquoi s’y arrêtant par hasard on y revient en mission, presque tout est secret, voilé, intime comme le cœur d’une famille, ou la nuit d’un rêveur. Le galeriste me nourrit de ses œuvres contemporaines comme l’empereur nourrit son gladiateur.
Le beau-frère de Silvia se dit prêt à prendre une commande, nous sommes là pour exactement cela. Il insiste : les artistes de la galerie ne produisent que sur projet, décidé en commun par ce triangle vertueux : commanditaire, artiste, galeriste qui veille à la parfaite réputation de MLS home gallery. Encore une allusion aux pratiques de la Renaissance, sauf que le « galeriste » était un factotum du Prince. Un délai sera donc indispensable pour réaliser l’oeuvre que je vais- il en paraît à présent certain-commander.

Si, comme il croit avoir compris, est-ce bien cela ? je souhaite composer moi-même ce qui deviendra le plus central de mes cadeaux d’anniversaire, et pas n’importe lequel, soixante-dix c’est l’âge charnière, je suis déjà presque en retard, à moins que, on le voit souvent, je fête mon anniversaire avec un décalage, quelle qu’en soit la raison.

Le galeriste l’ignore , mais ce sera le cas : la pandémie, les confinements, les couvre-feu, tout a roulé le temps et repoussé les dates.

Il me sent hésiter, me conseille sur le format de ce qui serait le plus rapide. Il me reconduit devant des miroirs peints découpés selon des formes diverses, et que j’ai appréciés dans un couloir en équerre.

La proposition me laisse incertain, jusqu’à ce que le galeriste décrive un moment de cérémonies rituelles anciennes, avec son empathique gestuelle : « Le bientôt initié ne voit rien, décrit-il, puis on retire le bonnet, le tissu, la cagoule de lin blanc, peu importe, cela qui couvrait ses yeux. Il retrouve la lumière, et il a face à lui les Anciens de la Société, silencieux, presque menaçants, tous armés. Il s’étonne : pourquoi les armes ? Mais il n’a pas encore le droit de parler.
On lui dit de se retourner : derrière lui, le prévient-on, se trouve désormais, sur son chemin vers son propre progrès, le pire de tous les ennemis qu’il doit découvrir sans tarder afin de s’en méfier durablement. Tension ! L’impétrant alors fait volte-face et ne voit rien qu’un miroir tendu à hauteur de son visage » 
. Symbole fort, ajoute le beau-frère, mais ça va, moi dans le miroir mon ennemi, moi-même à moi-même me découvrant mon pire adversaire, j’avais compris, merci, bien que « le Vieux Français » je sois.
Nous passons un accord. Il fait une bonne affaire et me dit que j’en fais une excellente, tout est en ordre. Je lui délègue le soin de préciser mon attente à Stefania CAMORASINI, et nous peaufinerons par Skype. Je reviendrai rapidement, lui assuré-je, un weekend, par avion, pour valider les choix ultimes en compagnie de l’artiste. A l’époque, bien sûr, tout le monde ignorait que la pandémie fera de la frissonnante et fragile Ferrare une destination cette fois interdite.

L’objet : trois miroirs découpés sur le plan de Ferrare « Dans les murs », et un tracé en impressions noire, rouge, blanche, une couleur pour chaque pièce, le plan le plus détaillé possible de la ville pour l’un, et deux autres thèmes pour les deux autres, que je définis sur place. Nécessité impérative : le graphisme s’identifie nettement d’un peu loin -un plan de ville fortifiée- mais doit disparaître ou quasiment si l’on s’approche, pour devenir un réseau de rides sur le visage du regardeur que reflète le miroir. Sur son visage, avoir pour marques ces traces du temps que sont les rues de Ferrare ! Superbe ( et coûteuse ! ) idée. Ironiquement, je vais me faire offrir l’œuvre par ceux de l’Agence, cadeau de départ définitif, on ne lésine pas…Bien entendu, pas de cadre. Notre accord sur le prix n’est pas si facile. Même si je connais les tarifs en usage dans ce genre d’espace, on ne discute pas, c’est de l’Art Contemporain, du fait sur mesure, de la pure intensité d’artiste en vif, il ne faut pourtant pas me prendre pour un Anglais qu’émoustille Erika au point de vendre le talent au prix de la Maserati ( – la série de quatre photos de couloir à 20.000 dans la galerie de Mantoue, on s’en souvient ?).

Tope là, mais alors transport et assurance compris?.. Chez PayPal, je ne sais pas s’ils suivent les opérations «  lourdes », en tout cas pour valider « l’avance sur talent » – ma petite folie de ces heures finales à Ferrare-je reçois le SMS de certification à six chiffres avant d’avoir fini de livrer mon adresse au galeriste en livrée d’enivré du pétro-dollar. Pour qu’il m’envoie le reçu papier, signé des mains de l’artiste.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 86/99, Chapitre 28 – milieu. Le plus central de mes cadeaux pour un soixante-dixième anniversaire. A suivre…

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YDIT-suit: Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 85/99, Chapitre 28, début. Corso Ercole d’Este I, 33, 44121 – Ferrara. MLS Home gallery.

La vieille concierge de la Maison Bassani ne m’a pas découragé, pas davantage que celle d’avant-hier ( déjà? Ou même encore plus tôt ? Les temps de la visite, du roman, puis du récit en feuilleton se superposent ! FERRARA toujours dans cette forme maline de présence-absence?) la gardienne vite disparue au cimetière hébraïque.

A présent, aujourd’hui, dans le vrai du vrai de mon séjour d’été à FERRARE, après le retour au creux du jardin à la fois rose et désert, The Silvia B. garden, il est bientôt l’heure de mon dernier rendez-vous (sinon l’ultime), à quelques dizaines de mètres d’ici (mais à FERRARE, on l’a compris, tout est à portée de courtes enjambées).

En franchissant le corso Giovecca à partir duquel commence l’autre moitié de la ville, l’Extension, comme les africaines ajoutent des mèches colorées à leur chevelure naturelle, on est à la fois dans le blanc et dans le noir. Je ne retournerai plus « de l’autre côté », la moitié vive aux quartiers solitaires et médiévaux, entrelacs de mémoire et d’imaginaire, sinon pour les adieux au jardin. Ici, dans cette portion aérée, rectiligne, arborescente, plantées de nombreux palais et d’agréables parcs, des deux cimetières, le chrétien et l’hébraïque, et de jardins qui ne furent jamais en réalité le territoire des Finzi-Contini , le visiteur marche dans une autre Ferrare, confortable et un peu pédante, cossue et un peu morte, artistique et un peu désuète. Bassinienne,en somme.

Le contraire, on perçoit bien que c’est le CONTRAIRE, comme dans la vie on sent l’INVERSE, oui, mais de quoi ?

Corso Ercole d’Este, 33, 44121 –Ferrara. MLS Home gallery, c’est là que m’envoie Silvia, chez sa sœur, pour me faire plaisir, parce que j’ai dit mon goût de l’art contemporain et des galeristes, pas seulement la belle Erika de Mantoue

(on s’en souvient? l’hôtesse aux trois bouteilles dans le frigo et aux cinq images nues dans le tiroir?)

Silvia me conseille la galerie MLS Home, aussi pour qu’un visiteur de plus connaisse l’endroit dont elle est fière, visiblement, et probablement pour que j’y achète une pièce : Silvia, bien sûr, a repéré ma façon de considérer l’argent comme un non-sens, avec distance et indifférence. Puis, à l’Agence, une petite notice bien menée, catégorie « marché de la culture », ils ne rechignent pas, les Juniors, ça fait chic. Ils ont fait des Ecoles. Des grandes. Du coup, ils ne lésinent pas sur mes honoraires, (mes gages de Scapin ?) si j’ajoute la « Kulture Touch ». Toujours signature « French », la Kulture.


C’est un immeuble de grande classe, portail de bois ouvragé, ancien.
On n’est plus à Mantoue : pas de brocanteur équivoque au rez-de-chaussée ( les débuts du commerce d’Erika, vous vous souvenez?) la galerie tient sur un étage unique, l’étage noble du premier, dont elle occupe tout l’espace. Deux, peut-être trois appartements d’abord aristocratiques puis bourgeois – Juifs? Non, pas dans ce quartier tout de même, sauf les grandes familles presqu’aristocratiques, tels le Finzi-Contini- trois appartements ont été réunis. Se succèdent ainsi les salles pour les accrochages et des couloirs, jadis de service, conduisant à des espaces inhabituellement dévolus à une exposition, réaménagés avec astuce, comme deux cuisines, chacune ne recevant que trois ou quatre œuvres d’un artiste. Un vieux mur abattu forme un bar à battants. Asssonance et Alexandrin (avec synérèse…) quel junior pour en repérer le corps? On accède tout de même à une sorte de vaste soupente.
La famille au quotidien habite ici, même la chambre expose des œuvres, adaptées au contexte. Deux fillettes (en vacances ?) de dix à treize ans traversent le palier au parquet brun, accompagnées d’un gardeuse d’Elles.

ET je me souviens soudain de cette étudiante, j’avais à peine trente ans et donnais alors quelques cours à Paris III, fin des années soixante-dix. Une grande brune plus qu’agréable, et qui n’aurait pas détesté qu’on dînât ( dit-on d’un barbu barbon), pour partager un bavardage et sensiblement plus si affinités, elle ne s’en cachait pas, l’époque voulait cela, et elle le voulait bien plus près, le chargé de cours. Mais je me disais que passer d’abord (usage courtois) la soirée à parler de son Papa journaliste et de notes pas si bonnes au partiel, en croquant une pizza quatre saisons chez Pizza Pino, ou discuter de Guevara et Oncle Ho chez le chinois rue saint Séverin, « La voie du Lotus », puis recommencer (on était là pour ça, au début à peine, l’heure des babioles) reprendre au petit déjeuner, « Ma grande qu’est-ce que tu bois le matin, café ou thé, plutôt chocolat et tartine Nutella sûrement ? » Croissants surgelés, pas envie de m’habiller pour descendre chez le boulanger du coin, et barbouillée de confiture oranges amères, la voici qui persévère dans le babillage; elle dit – juste habillée à tort d’un mousseux string sensuel et sombre ( noir? difficile à dire, elle-même se vêtant à cru d’une toison si brune) habillée de son peu d’étoffe et d’une brève odeur de sueur érotisée par la nuit :« Tu crois pas que je devrais choisir l’option Anglais renforcé, mais le prof a l’air pas très bon, c’est XYZ, tu le connais ? » La séquence aurait été résolument au-dessus de mes forces, sinon de ses fesses, et pour les temps et les temps. Avec l’âge, ça ne s’est pas du tout arrangé, la distance avec les jeunettes, creuses sous leurs pleins. Donc, pas d’histoire universitaire, ce qui a au moins le mérite parfait d’éviter les remords. Entre temps, sur la palier de la Home Gallery, les deux filles et leur Gardeuse d’Elles ont disparu.

Je frappe trois coups.


«  …home gallery, a space where the boundary between the private and the public spheres is blumed into a thin wall of air(…)Every inauguration counts up to 300 guests. And many more are the those missings but nevertheless present.(….)MLS is constantly arranging exbibitions inspired by the ones running at the nearby Palazo dei Diamanti, although with a modern outlook. The artists hosted at MLS are therefore invited to produce site-specific projects along the same themes of the big exhibits while at the same bringing them up to date”.
A peine la double porte de chêne vieilli ouverte, un quasi quinquagénaire très en forme, pantalon chino anthracite, taille svelte, chemise coton col tunisien haut de gamme, très très blanchée, du genre à être changée trois fois par jour, main tendue et presque déjà l’autre familièrement sur l’épaule.
Tout commence par une grande pièce au plafond fait de caissons à la française, largement surdorés (clin d’œil à La Renaissance), dominant de sa grande hauteur un espace vide, dont deux murs en angle présentent un rebord inférieur, dix ou quinze centimètres de large à un mètre vingt du sol. Y sont juxtaposées, dans une très belle succession d’échos et de ruptures, des œuvres (sculpture verticale très parallélépipédique, tableaux, photographies encadrées, toujours sur de formats plus hauts que larges et des couleurs en contrastes mesurés). On est bien chez de riches amateurs. Deux ou trois piles étroites de ces petits livres d’art édités par MLS home galery soi-même, qui, de hauteur variable, donnent le rythme à l’ensemble. Deux canapés de cuir grège cossu ferment les deux autres angles de la pièce, non pas posés contre le mur, mais assez distants pour permettre, derrière eux, le passage du visiteur, présumé acheteur, qui – s’approchant, constate que les piles de livres d’art ne sont pas en vente à l’unité mais forment chacune d’entre elles une œuvre à part, une pile d’apparence badine cependant détournée par Sarah Berstein : collages, découpes de reliures dans les angles, caviardages de titres, introduction d’œuvres discordantes, telle une édition viennoise de « Histoire de l’œil » au titre très ironique, dans la série « Regards d’Aujourd’hui » – majuscules en enluminures.

Tout cela nous fait gagner du temps avant la nécessité du départ, l’avion à Bologne, demain et encore davantage pour le récit, et son inéluctable dénouement, fin juin. Well done, Mortimer.

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 85/99 , Chapitre 28, début . Corso Ercole d’Este I, 33, 44121 – Ferrara. MLS Home gallery. A suivre… le 14 mai.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 84/99, Chapitre 27 – fin. « Heureusement, ils n’ont pas vu que j’étais juif. »

J’ai laissé NERO explorer seul son fantasme littéraire. Je l’imaginais coincé par les pages de l’infini. NERO rêve, impossible de vivre son rêve, qui est à la première personne, comme tous les rêves de bonne famille. Il semble sortir d’une torpeur davantage soutenue par la plongée mémorielle que par l’alcool. Il bredouille qu’il veut bien me raconter un autre rêve de l’Ecrivain. Ça ne m’intéresse pas du tout, il insiste, je cède, écoutant toujours trop les narrateurs:
NERO :« J’arrive, et je dois enseigner l’Anglais, c’est ce que raconte le journal intime. Je porte un costume gris, classique. Pendant le temps du rêve entier, non sans un certain malaise, je me débrouille pour « animer » une séquence qui évite soigneusement tout usage de l’Anglais, tout mot, tout geste anglais. Les étudiants, assis le long d’une table en U, ne jouent qu’à moitié le jeu, n’aiment pas mon approche en distance. Je sais parler, cependant je me tais, c’est difficile, le sentiment de gêne croit très rapidement. Mon cours, des gens vont et viennent, et je m’inquiète à chaque fois : est-ce un envoyé du patron. Ensuite, ou est-ce un autre rêve ? Je voyage dans un double-bus, et je suis nu. La situation ne me pose évidemment (évidence du rêve) aucune difficulté ni question comme à chaque fois que je voyage nu en compagnie, ce qui habituel et n’est ni gênant ni érotique. C’est ainsi et ça ne veut rien dire.
On arrive à un grand carrefour. J’en profite pour descendre, en vitesse et en catimini, encore étonné de mon peu de vêtements, et je cours à très vite au milieu des jardins labyrinthiques, déjà rêvés d’autres fois, où je reconnais les anciens parcs des Finzi-Contini à Ferrare, tels qu’ils ont été aménagés depuis. Je cours, le chemin de sable conduit tout près du cimetière juif, et avant de frapper à la petite porte latérale où l’ombre de la vieille m’espère, je me dis, clignant de l’œil vers ma propre nudité identifiable : « Heureusement qu’ils n’ont pas vu que j’étais juif
».
Tandis qu’a parlé NERO, j’ai ouvert subrepticement le petit carnet noir où il prétend avoir noté les passages de journaux intimes et dont il se servait tout à l’heure, sans doute en trichant, pour annoner des fragments probablement faux d’entretiens irréels, de rêves inventés, ou même des poèmes inédits de Bassani, qui en publia beaucoup, il est vrai, y compris à compte d’auteur, à ses débuts.
Je lis, c’est abrupt : « Ses yeux de fougère bretonne qui détonne en automne, et son odeur intime de fougère angevine assise dans la ravine » : pas de doute, rien de Bassani, texte piqué à une victime de NERO, après des bières en terrasse ?
Je lis, c’est absurde : « Le vieux gardien coquet faisait essayer à chaque visiteur de l’hôpital une antique moto Finzi Contini que personne jamais n’achetait ».
Les verres avalés par NERO ont alors, façon habituelle et sournoise d’abréger les dialogues, exigé une nouvelle visite sanitaire du voisin édicule mobile.

Au retour, regardant la rue Sareceno plus que jamais grouillante (ailleurs, j’aurais pensé au « Paris » de Zola : « La sourde clameur du travail », ou au «  Peuple » de Michelet : « Le sang neuf des barbares »), NERO, dont l’ivresse parait dissipée, me demande sans raison si je savais que Lino Ventura était né à Parme, le 14 juillet 1919, étonnante façon de fêter par anticipation l’anniversaire des « Tontons flingueurs » ?
On se quitte sur un «  Yes sir ! » tonitruant.
Puisque c’est tout près, je fais un détour par cette rue déjà souvent parcourue, et qui cachait la maison de Giorgio Bassani. un tic devenant toc ?(demanderait Mark) La Dopamine libérée par le plaisir si vite crée le besoin de la répétition ?( s’interrogerait Cécile ) Fixation sur la maison de Bassani , on finit par se prendre pour lui ? (s’inquièterait Sergi Tout cela très vai.
A la porte de la maison, rue Borgo di Sotto, personne n’a répondu, tout à l’heure. Mais je suis revenu pour persister.
Maintenant, on entend des pas qui ressemblent étrangement à ceux de la vieille gardienne du cimetière. C’est Laetitia, elle ouvre. Non, il n’y a personne pour l’instant, et plus de trace Bassani ( elle dit étrangement «  les traces Bassani »). Ce n’est pas possible d’entrer, ce n’est pas un musée, ça ne se visite pas, il y a une Fondation. Laetitia ne s’impatiente pas, elle a le temps. Parler de Bassani ? A quoi bon ? D’ailleurs, autant qu’on le sache, si elle parlait, il n’y aurait pas que du bon à dire.
-« Vous n’avez rien compris à Giorgio Bassani. Vous ignorez beaucoup, et ses livres souvent racontent des histoires. Oui, c’est facile de dire ça, bien sûr que tous les livres racontent des histoires, même ceux de Joyce ou Woolf ou Beckett, mais là ce sont des histoires de l’Histoire. ET ? Et votre Bassani se donne souvent le beau rôle. Non, non, rien à dire de plus, sinon je l’aurais dit quand j’étais jeune femme et que La República est venue m’interroger, déjà en ce temps c’était idiot, puisque votre Giorgio n’habite plus ici depuis très longtemps. Les archives ? Sans doute il y avait celles de la prison rue Piangipane, il y a été enfermé un peu de temps, vous savez, oh pas trop tout de même, les yankies l’ont en quelque sorte libéré en débarquant au loin, et ça a du même coup débarqué le Duce, vous auriez dû voir la confusion totale de l’époque, avec le vieux maréchal Badoglio, tu parles, aussi fasciste que les autres, au moins ça, le Bassani, c’était pas du tout un fasciste à cette époque-là, avant, je dis pas, mais un peu comme tout le monde l’était dans sa famille, passivement, mais tout ça c’est autre chose, la prison, ensuite ils ont tout détruit pour faire un musée sur les Juifs, je suis sûre que ces imbéciles de Rome n’ont même pas gardé les documents de prisonnier de votre Bassani…vous pourriez aller à son école supérieure, à Rome, ou dans les maisons qui publiaient ses livres, je ne sais pas, ils doivent connaître des trucs, ils ont ses lettres, à la Fondation, et y a même un type d’ici, un guide , ou un pseudo guide, je ne sais plus quel nom il s’est inventé, un type qui prétend avoir des photocopies micro-film ou un truc de ce genre, j’y connais rien, des clés UBS, peut-être, avec dessus tout le texte du journal secret de Bassani… »
J’explique alors qu’il s’agit pour moi d’une sorte de parcours intime dans Ferrare : au fond voir l’intérieur de la maison et le jardin me suffirait. Quant à Giorgio Bassani, mon personnage d’ici, de plus en plus flou et cependant réel j’en sais assez pour ce que je veux raconter les pierres utiles à ma Mura de mensonges sont réunies.
« Pas de problème, si je veux visiter l’intérieur, il y a un appartement vide à louer, de là je verrai tout ce que je peux avoir envie de voir, et même les ombres de tous les Bassani passés par là. Et je pourrai même écouter les balles du tennis, parfois dès le lever du jour l’été, sinon ensuite c’est trop chaud pour jouer. Ah, non, encore une fois, le logement lui-même, pas possible, c’est une exclusivité de l’Agence … je sais plus son nom, vous trouverez, Viale Cavour, je crois qu’ils ont une succursale Piazzale Manzoni, ça fait cinq ou six ans au moins que c’est vide, ce logement, mais c’est très vieux et aussi très abîmé, rien n’a été refait, c’est vraiment beaucoup trop cher, même pour Ferrare, il n’y a pas de visite de clients, personne n’en veut. Si vous voulez l’acheter, même je suis sûr que ce serait possible, mais vraiment , ce serait très très cher de restaurer le Bassani. Et on ne voit pas pourquoi on le ferait»

Je rentrai vers le jardin rose. Il était trop tard pour passer à l’Agence savoir si on avait trouvé un studio pour moi, dans la vieille ville de préférence, proche d’un tennis ou d’un jardin, ne fût-ce même celui de la maison de Giorgio Bassani.

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 84/99, Chapitre 27 – fin. « Heureusement, ils n’ont pas vu que j’étais juif. » A suivre.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 83/99, Chapitre 27 – début. On cultive son jardin et on déterre des obus.

Chapitre 27

NERO empiète sur le territoire du guide-conteur, où il excelle à parcourir l’épaisse limite entre l’Histoire et l’Imaginaire. Il prétend avoir découvert, dans le « Journal » intime secret et inédit de BASSANI, les factures soldées de rêves consignés avec soin. Très surprenant : BASSANI répugne à l’écriture intime, à l’exposition. Il va de soi, rompu aux mystérieux babillages de la psychanalyse, n’ayant rien bu ou presque, juste un petit ristretto, que j’aurais pu m’offrir le bonheur de la toute-puissance en énonçant les réalités probables que ce rêve prétendu décrivait sous son masque narratif un peu grossier, et même naïf, au point d’en devenir presque pathétique. Typique de NERO, ses inventions, ses savoirs, mêlés.

Levant les yeux de sa bière, NERO m’aurait demandé si je croyais que Giorgio Bassani avait été Franc-maçon du Grand Orient d’Italie ? Ou de n’importe quelle autre de ces foutues obédiences ? Ou à sa façon bien à lui – l’air de ne pas y toucher -mouillé aussi dans les tripatouillages électoraux? Et, ajoutait-il, soudain très sérieux : 

« Au vrai, ton intérêt pour le Bassani, c’est quoi le secret ? »

Je réponds, il enchaîne : « Tu ne crois pas que tu commences à t’identifier un peu trop à ton Bassani ? Attention, ça galope en toi, contre toi ? T’as la marée Giorgio qui monte tes intérieurs. Aussi vite que dans votre baie de saint Michel. Tu vas finir par te prendre pour lui, lui qui ne s’est jamais tout à fait pris pour LE Bassani public »
Je fais silence. Il se tait. On attend. On s’en fout. On a le temps, lui archéologue, moi que plus rien ne presse. Nous vivons dans le dépouillement du temps.
NERO  : « Ici, tout est mystère, tout est symbole. A Ferrare, tout est dit mais tout est double, le réel copie le magique, le reflet embrasse la vérité. Surtout, précise t-il d’un vaste mouvement du menton, surtout que les Ferrarais, et d’abord ton Giorgio Bassani, sont de fieffés menteurs, de purs raconteurs d’histoires, superbes ».
-ET Bassani aussi?
NERO : «  Lui, il ment, par exemple, sur la date des assassinats dans sa célèbre «  Nuit de 43 », c’est pourtant mort d’hommes et en public, et des hommes il en fréquentait réellement deux, pas n’importe lesquels, et fréquentés pas n’importe où, les réunions du soir si tu vois ce que je veux dire?..Il ment peut-être sur…son rôle secret à la Libération, comme opposant au régime mais aussi comme négociateur et contact avec certaines communautés ferraraises très discrètes mais jamais disparues, actives en sourdine tout au long de la guerre, entreprise et commerce et réseaux. Savais-je, continue NERO plus fécond dans sa faconde que jamais, sais-tu ce que le Giorgio disait, par exemple, de Juifs de Ferrare ? »
Il récite de mémoire, mais on pourrait vérifier :
«  La période qui va de 1937 à 1943, que j’ai presque exclusivement consacrée à l’activité antifasciste clandestine (…)fut parmi les plus belles et les plus intenses de ma vie. Ces années-là me sauvèrent du désespoir dans lequel tombèrent tant de Juifs italiens, dont mon père, grâce au confortable sentiment d’être totalement du côté de la justice et de la vérité, en se persuadant surtout de ne pas émigrer (…) Je me détachai complétement de ma famille, ma ville, devenant d’une certaine façon étranger .»
NERO, on le sent, imagine une bande magnétique grésillant un peu, on perçoit le bruit du tuyau de pipe sur le cendrier d’ébonite, ou – selon le choix du support- le grouillement des doigts de la dactylographe courant après le verbe. L’édition de référence préciserait que « cet entretien date sans doute de 1963, ou à peu près ». Mais, dans son état, il peut confusionner avec une autre interview publiée dans « L’Europa littéraria », 5 ème année, n°26, en février 1964 ?
Revenant sur son entreprise de destruction à mèche lente, NERO : « Tu te souviens que son premier texte, c’est dans « Corriere Padano », canard qu’avait créé…tu t’en rappelles ? Oui, Italo Balbo, c’est cela même, tu as bonne mémoire malgé tout, Balbo le grand fasciste, le Maréchal d’aviation, le pote de Bénito, le plus fasciste des ferrarais, donc ? »
L’imprécision des données n’arrête pas NERO, et nous sommes à Ferrare. Tout l’incertain est possible dans la couleur de brumes qu’installe ici la chute du jour.
Je demande à NERO, puisqu’il paraît tant informé, à quoi ressemblait donc le supposé journal intime de Bassani, clandestin et inédit ? NERO : « Le nullissime état de conservation explique le refus de consultation que la famille, et la Fondation, opposent à toute demande, par crainte des mauvaises «  leçons »  de lecture, au point de prétendre que ce journal n’existe pas, ou plus. Mais moi, je l’ai vu, et je l’ai lu, que crois-tu Lustucru, NERO c’est le héros.« 
Selon Néro, « Ce fameux journal-hormis quelques passages repris pour répondre avec paresse aux interviewes- comporte surtout de très infimes souvenirs personnels, marque de tabac à pipe, prix d’une FIAT d’occasion, deux ou trois maigres allusions à des dîners, mais rien- c’est un vrai journal hyper-codé –sur politique, affaires, liaisons, sociétés secrètes, j’ai mis deux ans à percer le code…Rien sur sa femme, ou encore moins sa mère Dora, tiens, Modiano ? Et ne parlons pas du grand défilé des petites maîtresses… »


NERO s’accoude un peu pataud à la petite table, j’attrape à temps la bouteille de bière, »Ou encore un, sur ses grands-parents et la fameuse maison qui est ta baleine blanche à toi : « Nous vivions tous ensemble dans une grande maison via Cisterno del Follo » , tu vois, ce n’est pas la même, là c’est le grand père maternel, « nous vivions à différents étages. Le grand père David était un monsieur très estimé et admiré au sein de la petite société juive ferraraise à l’époque », mais je me mélange ( ça ne m’étonne pas !) entre le grand père « riche négociant en tissus via Vignataglia » et cet autre »médecin –chef pendant quarante ans de l’Hotel-Dieu Sant’Anna ». Bourgeois, on t’avait dit. On ne sait rien, ou si peu, des grands mères, éteintes par la culture traditionnelle juive et aussi leur époque
NERO est en plongée libre dans les coraux de sa mémoire, il cite Bassani :
« Une des fonctions de mon art(…) est, surtout d’après moi (…) de sauvegarder la mémoire, le souvenir. Nous venons tous d’une des expériences les plus terribles que l’humanité ait jamais affrontée. J’écris pour qu’on se souvienne » et «‘Arbeit macht frei’ : n’oublions jamais qu’à la place ‘Arbeit’ , le travail, il pouvait très bien y avoir Todt, la mort ».


NERO : « Une réponse donnée trace toujours un chemin neuf vers l’inconnu. Sinon les chemins s’arrêteraient. Un rêve conduit à un mot, qui réveille une parole, qui rappelle…ça s’enchaîne sur un rythme inexorable et dérisoire. L’enfui somme l’enfouis de s’exhumer. On cultive son jardin et on déterre des obus encore vifs. On va faire un tour de mémoire et on reste dans le trou gadoueux du souvenir. C’est bien pour ça que Proust est mort, assez jeune finalement, et c’est heureux pour vous les Français, imagine Proust vivant jusqu’à l’âge de Vauvenargues, imagine des milliers de pages et 1234 petits carnets noirs à dépouiller! »

Ou pire encore, imagine qu’il ait pu gagner des élections et ensuite écrire ses  » Mémoires « 

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 83/99, Chapitre 27 – début. On cultive son jardin et on déterre des obus.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 82/99, Chapitre 26 – fin. Profiter du tarif ferrarais.

Il a fallu renoncer à l’aimable controverse ou la délicate promenade que la rencontre d’une libraire au Français laiteux semblait promettre, et regagner la vaste place du château. Un léger malaise, étourdissement passager, impression de vide, allais-je m’agenouiller devant la pile de biographies comme il y a peu de temps devant le muret rue des martyrs ? Ferrare connait une chaleur de cauchemar ou de procession. La nuit a été trop courte, une fatigue surgit. Le temps s’écoulant, il n’est pas impossible que je confonde un peu les jours, les églises, les rumeurs. Que je m’invente des récits, des apparitions.

NERO et ses imaginaires énervés n’y sont pas pour rien.
Je m’assieds sur un banc près du Château d’Este, loin du muret et du Corso de la nuit de 43. Une fois encore, mais on s’en passe aussi peu que d’un bon verre, je déplie les mels, Iphone Ipad. Pour l’un d’entre eux, en Italien, ouvrir la pièce jointe est difficile, d’autant que le texte lui-même n’est pas une saisie électronique, mais le scan en PDF d’un prospectus qu’on dirait arrimé à l’histoire du siècle précédent, typographie d’un autre âge… La Secrétaire du Club de Tennis Circolo Marfisa a (haha, hiatus) bien observé ma demande d’adhésion, et les photocopies des documents déposés en retournant rapidement au Club.

Il faudrait une attestation de résidence si je veux profiter du tarif ferrarais, c’est 50% de plus pour les non-Régionaux, j’ai presqu’envie de questionner si c’est encore 50% de plus pour ceux de la communauté, mais surtout, si elle a bien compris, le contrat et la carte ne seront pas à mon vrai nom, mais à un autre nom, qui est mon pseudo, mon identité d’usage et de plume, reconnu comme tel, alors elle veut bien? D’accord, je ne serai pas le premier à préférer l’incognito, pourvu que le virement trimestriel soit en place au vrai nom, mais alors il faudrait un document expliquant pourquoi le pseudonyme et si on peut avoir une autorité qui le garantit comme authentique ?
J’avoue que la perspective d’un pseudonyme authentique identifié dissout d’un coup la poussière des fatigues, sous un grand rire. Au Club, l’autre jour, nous avons admis – avec bafouillages- que pour jouer au tennis l’usage de l’Italien n’est pas la condition première, et j’ai pu donner mon classement. Et quant mon âge, ça se voit. Pas de tarif Sénior ? Même si j’aime la provocation du double nom qui me sert parfois pour des publications hors métier, je dois avouer que ma demande complique l’adhésion. Amusé, je retourne le mel en proposant pour le nom pour l’adhérent : GIORGIO BASSANI. Pour l’âge, ça peut coller (mais j’ai l’air beaucoup moins sérieux). Souriant, j’attends le retour de volée que cette provocation un peu sotte mériterait. L’heure n’est pas propice, nous sommes sur le point de signer l’armistice de la sieste, canicule oblige.

 Et , mais je m’y attendais, NERO est en retard. 

Et , mais je m’y attendais, NERO est en retard. 
On se retrouve dans notre Gourmet Burger, il a nettement refusé que ce soit n’importe où ailleurs. Il a ses habitudes, il a son ardoise. Qui devient la mienne, peu à peu, j’aurais dû m’en douter.
« Il aurait fallu, dit le guide NERO, que tu sois non seulement un homme libre devant une feuille libre, comme tu le prétends, mais une sorte de membre discret d’une société poursuivant la dissipation des mystères, ou même l’amélioration spirituelle de l’humanité, tu vois, bon genre pour un homme tel que toi…Regarde les passantes sous les arcades, jolies et invraisemblables.« 
Il me fatigue, NERO, dans cette partie singulière de ma visite à Ferrare. J’aurais préféré continuer l’investigation simple : l’écrivain et son jardin ( tous deux faux ). Poursuivre l’échange avec la belle du Missouri, du Missisipi, de la librairie. Continuer sur l’étonnante difficulté du cheminement jusqu’à la maison, dont Giorgio Bassani s’est pourtant échappé à temps, prenant le tout dernier train pour Rome le 6 décembre 43, avec une part de sa famille, évitant ainsi la grande rafle.
Entre deux bières artisanales l’étrange NERO me signale « l’excellent ouvrage de » (« l’excellent ouvrage de », la formule trahit son archéologue !) , de Marie-Anne MAZARD BONUCCI, «  l’Italie fasciste et la persécution des Juifs », réédité dans le format « Quadrige » de Gallimard en 2012, beau succès de lectorat.
Selon elle, pendant longtemps, « la question de la race » ne se pose pas au régime fasciste, qu’elle n’intéresse pas. A partir de 1936/37 la pression du grand cousin nazi s’exerce de plus en plus, d’autant que le pouvoir absolu se développe en Allemagne, redevenue super-puissance militaire et diplomatique, pendant que le « modèle italien », qu’admire d’abord Hitler, se détériore à vitesse grand V avec les aventures impérialistes désastreuses d’un Duce dépassé par ses propres événements, et déjà doublé en Espagne par le leadership nazi dans l’aide aux franquistes.

NERO persévère dans son rôle étonnant de professeur il poursuit l’instruction : « C’est en 1938 que les lois raciales sont votées, parce que Rome a besoin d’offrir des garanties à Berlin, certes, mais aussi- à en croire l’historienne –parce que les tensions internationales, guerre d’Espagne, épisode récent du Front populaire, conduisent le régime fasciste à produire une figure forte de « l’Ennemi », un contre-type de « l’Homme nouveau ». Or, en Italie, tous les opposants politiques – communistes, syndicalistes, etc.- sont déjà en prison, ou en résidence surveillée dans les îles. En tout cas privés de leur métier, donc de toute présence sociale. La victime facile à désigner, dans ce pays où la dictature a transigé avec la papauté, la victime encore en réserve c’est la communauté juive, celle qui n’a pas été inquiétée car non opposante au régime. Bassani souvent l’observa : elle transige, la communauté, qui n’apprécie pas trop le désordre. »
J’aurais protesté, alors, sachant toutefois que NERO vidait sa mémoire comme on le doit d’une vessie au cours d’une errance, au rythme de bières artisanales bien glacées, qui se délivrent et se dispersent sans compter depuis que la terrasse du Gourmet Burger a installé, de l’autre côté de la rue Saraceno, dans un recoin entre porche de la chapelle et librairie, l’une de ces pissotières sur roue qui sont le dernier hommage absurde rendu à l’inégalité des femmes et des hommes .
Ce qu’il me faudrait savoir, demanderais-je tout de même à NERO , c’est l’entière vérité sur les agissements secrets de Giorgio Bassani. La rencontre avec la vieille gardienne de sa maison, même si je l’ai fantasmée, ouvre la question. Et ne me répond pas que «  entière » n’a aucun sens, encore moins à Ferrare, encore moins dans un récit tel que le nôtre, sinon je ne paie pas tes bières, ni n’efface ton ardoise.
NERO, suggérant par ailleurs qu’il peut bien se payer ses bières tout seul, ce qui est faux, enfin pas chaque jour : « Laquelle vérité ? Celle de la peau ? Celle de l’os ?  Remarque bien que notre héros, ce personnage que tu t’inventes à partir de ce si peu que tu sais, ton Bassani le Giorgio a tout de même apporté sur les faits – ou ce qui tend à se faire passer pour les faits- une série de réponses ajustées au petit point, des réponses parfaitement ciselées. Il a même fait dans son journal encore inédit à ce jour, mais j’ai pu m’en procurer une copie, t’inquiète, tu sais que tu peux compter sur moi, il a écrit des récits de rêves on ne peut plus …révélateurs, dans son journal secret. C’est un véritable trésor, rarissime, et je le possède, je te montrerai. »
Comme, on s’en doute, j’aurais demandé de quel journal il pouvait bien s’agir puisque Bassani affirmait se méfier radicalement du genre, NERO se serait contenté de faire un signe de croix avec deux doigts sur ses lèvres : silence ou mort. Il aurait alors fini très vite sa bière, puis entrepris de se lever. Mais la brume légère produite par un début d’ivresse (tout s’explique) aurait conduit la serveuse, toujours la même, impeccable dans les ajustements noirs d’étoffes, a savoir s’il allait bien ? NERO ? Allo Néro ? S’il avait besoin de quelque chose ?
« – D’une bonne dernière bière glacée ! » aurait été son absurde mais vérifiable réponse.
NERO aurait alors (appuyé par un geste signifiant qu’il allait s’ouvrir le ventre pour moi, pélican du souvenir) affirmé qu’il allait me raconter un ou deux des rêves de Giorgio Bassani, c’est plus gai que l’entière biographie ! Les rêves intimes consignés dans le journal. Tu parles !
Le premier est un joli rêve de printemps fait par un homme mûr et déjà célèbre. C’est une réunion ce soir à Venise, chez le directeur du festival que Giorgio va présider. Il est pour l’instant à Rome, dans le bureau de son éditeur qui l’a laissé attendre ici après un excellent déjeuner, comme souvent il fait avec « ses » auteurs. Paisible, mais préoccupé par il ne dit pas quoi, le personnage du rêve quitte le bureau sans sa valise ( elle contient évidemment son manuscrit), puis taxi, puis train, et il ne s’en aperçoit que très tard. Une violente inquiétude le prend peu à peu : il se sent privé de tout. Comment présenter « bien », comment faire le Bassani sans la cravate Oxford (il n’en possède pas au réel), ses notes de cours (ce n’est pas le sujet ) les fixe-chaussettes (qu’il n’utilise plus) – la kipa en plastique invisible, concept de pur non-sens, etc… Le désarroi l’envahit, rien ne subsiste (ou ne peut se « présenter ») de ce qu’il sait, est, croit, peut. Mais- car l’inconscient de Giorgio est de bonne famille- le rêve se dénoue par l’équivalent d’une pollution nocturne chez un ado inquiet : bonne nouvelle, le festival de Venise est supprimé par les Soviets.
Ouf. On peut pas tout faire soi-même, tu le pensais tout à l’heure, mais au moins on sait sur qui on peut compter. Mais pas dans le jardin de Bassani.

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Didier Jouault pour : YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 82/99, Chapitre 26 – fin. Profiter du tarif ferrarais. A suivre : Où NERO le guide fait parler BASSANI le personnage.Tout ça les 5 et 7 mai, deux épisodes, ça suffit bien.

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