Dans la MLS HOME GALLERY , un beau-frère de Silvia ( authentique celui-là?), me fait l’article des œuvres, à commencer par une édition viennoise de « Histoire de l’œil » au titre très ironique, dans la série « Regards d’Aujourd’hui » – majuscules en enluminures.
Une exhibition contemporaine pour amateurs avertis ( à défaut de quoi, posées ailleurs, ces piles de petits formats usagés, enserrées de lien rouge et ficelle dorée comme pour un cadeau de noël, auraient toutes les chances de finir vite fait chez le plus proche Emmaüs, pardon Sarah Berstein , artiste conceptuelle née à Modène…) Je pourrais apprendre, plus tard, qu’elle connaît bien Erika, si je persévérais dans mon enquête. Mais à quoi bon chercher les liens discrets? ici, le centre absolu de l’histoire reste le jardin de Giorgio Bassani, malgré les tentatives de diversions, dérives, digressions que porte chacun de ces noms, chaque récit de prénom, Stéfania, Erika, Silvia, sans omettre les seconds rôles, serveuse de Gourmet Burger, étudiante de Sorbonne….
La visite est jolie, les œuvres étonnantes, parce que tout résonne selon peu de clés : Ferrare « Dentro la Mura » tous temps historique mêlés, les nombres – Pythagore, la Kabbale – une forme d’ésotérisme simplifié, la Renaissance et avant tout les femmes, dont Lucrèce Borgia, qui fut d’abord épouse d’un Este, les ducs de Ferrare. Ensuite, ça s’est plutôt gâté, comme toujours avec cette goûteuse famille.
Dans le couloir, du sol au plafond, parfaitement éclairés, quatre tapisseries assez inspirées de la savonnerie, mais en laine crue à brins épais – du pur Alpaga roux beiges et bruns, interprètent, chaque fois sur une tonalité différente, une vue sérieuse de Ferrare. Le prix, que je demande par pure curiosité sociologique, est carrément fixé en dollars saoudiens. Pourquoi hésiter à dépenser puisqu’on est ici?
Plus tard, me guidant toujours, le galeriste lève la tête, dans ce qui fut l’un des grands salons : au plafond, une Constellation de points d’une voie lactée qui représente de nouveau Ferrare, mais -indique le guide en montrant du doigt- « les planètes sont dans la position qui correspond à leur place dans l’horizon, enfin le ciel, à la date de – moi, depuis, j’ai oublié laquelle –et ce soir-là, ce début de nuit, nous avions invité trois cents personnes à une performance-déambulation dans les rues de la ville, partout depuis le centre politique, le château, jusqu’à la Porta degli Angeli, la faille dans La Mura, puisque, et nous en avons les preuves grâce à des archives indiscutables, eh bien nous savons qu’une partie des édifices aux environs de ce trajet, bâtiments qui sont les plus célèbres de Ferrare, dont le Palazzo dei Diamanti, nous savons qu’ils ont été disposés selon la position des astres à toujours cette même date, une date de l’année 1498, vous voyez le rapport, l’année de l’expulsion là-bas et de l’invitation ici, et selon des principes où les chiffres de la Kabbale ont joué un rôle lui aussi déterminant : le Duc, invitant les Juifs à se réfugier, prenait toutes les précautions avec les diverses variantes du Ciel et des Dieux – ce qui fut de sage politique…Invitant les Bohémiens, il aurait construit la ville en boule de cristal, finasse le galeriste. Cette idée nous fait sourire, c’est un truc dont il use sans doute à chaque fois. Tant que ce n’est pas une nuit de cristal, ça va. Surtout ici. Mais nulle part, d’ailleurs.«
« La kabbale, dans cette ville, explique beaucoup de tracés, offre des réponses à bien des surprises. Dans beaucoup de villes les nombres portent l’explication des géométries invisibles, et vous connaissez bien Paris pour cela. Etoiles et chiffres, c’est Ferrare, les cerveaux des architectes et les émotions des princes, les amusements des sorcières et des prostituées pour qui les comptes clairs font les bonnes pratiques. « A Ferrare, et voici pourquoi s’y arrêtant par hasard on y revient en mission, presque tout est secret, voilé, intime comme le cœur d’une famille, ou la nuit d’un rêveur. Le galeriste me nourrit de ses œuvres contemporaines comme l’empereur nourrit son gladiateur.
Le beau-frère de Silvia se dit prêt à prendre une commande, nous sommes là pour exactement cela. Il insiste : les artistes de la galerie ne produisent que sur projet, décidé en commun par ce triangle vertueux : commanditaire, artiste, galeriste qui veille à la parfaite réputation de MLS home gallery. Encore une allusion aux pratiques de la Renaissance, sauf que le « galeriste » était un factotum du Prince. Un délai sera donc indispensable pour réaliser l’oeuvre que je vais- il en paraît à présent certain-commander.
Si, comme il croit avoir compris, est-ce bien cela ? je souhaite composer moi-même ce qui deviendra le plus central de mes cadeaux d’anniversaire, et pas n’importe lequel, soixante-dix c’est l’âge charnière, je suis déjà presque en retard, à moins que, on le voit souvent, je fête mon anniversaire avec un décalage, quelle qu’en soit la raison.
Le galeriste l’ignore , mais ce sera le cas : la pandémie, les confinements, les couvre-feu, tout a roulé le temps et repoussé les dates.
Il me sent hésiter, me conseille sur le format de ce qui serait le plus rapide. Il me reconduit devant des miroirs peints découpés selon des formes diverses, et que j’ai appréciés dans un couloir en équerre.
La proposition me laisse incertain, jusqu’à ce que le galeriste décrive un moment de cérémonies rituelles anciennes, avec son empathique gestuelle : « Le bientôt initié ne voit rien, décrit-il, puis on retire le bonnet, le tissu, la cagoule de lin blanc, peu importe, cela qui couvrait ses yeux. Il retrouve la lumière, et il a face à lui les Anciens de la Société, silencieux, presque menaçants, tous armés. Il s’étonne : pourquoi les armes ? Mais il n’a pas encore le droit de parler.
On lui dit de se retourner : derrière lui, le prévient-on, se trouve désormais, sur son chemin vers son propre progrès, le pire de tous les ennemis qu’il doit découvrir sans tarder afin de s’en méfier durablement. Tension ! L’impétrant alors fait volte-face et ne voit rien qu’un miroir tendu à hauteur de son visage » . Symbole fort, ajoute le beau-frère, mais ça va, moi dans le miroir mon ennemi, moi-même à moi-même me découvrant mon pire adversaire, j’avais compris, merci, bien que « le Vieux Français » je sois.
Nous passons un accord. Il fait une bonne affaire et me dit que j’en fais une excellente, tout est en ordre. Je lui délègue le soin de préciser mon attente à Stefania CAMORASINI, et nous peaufinerons par Skype. Je reviendrai rapidement, lui assuré-je, un weekend, par avion, pour valider les choix ultimes en compagnie de l’artiste. A l’époque, bien sûr, tout le monde ignorait que la pandémie fera de la frissonnante et fragile Ferrare une destination cette fois interdite.
L’objet : trois miroirs découpés sur le plan de Ferrare « Dans les murs », et un tracé en impressions noire, rouge, blanche, une couleur pour chaque pièce, le plan le plus détaillé possible de la ville pour l’un, et deux autres thèmes pour les deux autres, que je définis sur place. Nécessité impérative : le graphisme s’identifie nettement d’un peu loin -un plan de ville fortifiée- mais doit disparaître ou quasiment si l’on s’approche, pour devenir un réseau de rides sur le visage du regardeur que reflète le miroir. Sur son visage, avoir pour marques ces traces du temps que sont les rues de Ferrare ! Superbe ( et coûteuse ! ) idée. Ironiquement, je vais me faire offrir l’œuvre par ceux de l’Agence, cadeau de départ définitif, on ne lésine pas…Bien entendu, pas de cadre. Notre accord sur le prix n’est pas si facile. Même si je connais les tarifs en usage dans ce genre d’espace, on ne discute pas, c’est de l’Art Contemporain, du fait sur mesure, de la pure intensité d’artiste en vif, il ne faut pourtant pas me prendre pour un Anglais qu’émoustille Erika au point de vendre le talent au prix de la Maserati ( – la série de quatre photos de couloir à 20.000 dans la galerie de Mantoue, on s’en souvient ?).
Tope là, mais alors transport et assurance compris?.. Chez PayPal, je ne sais pas s’ils suivent les opérations « lourdes », en tout cas pour valider « l’avance sur talent » – ma petite folie de ces heures finales à Ferrare-je reçois le SMS de certification à six chiffres avant d’avoir fini de livrer mon adresse au galeriste en livrée d’enivré du pétro-dollar. Pour qu’il m’envoie le reçu papier, signé des mains de l’artiste.
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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 86/99, Chapitre 28 – milieu. Le plus central de mes cadeaux pour un soixante-dixième anniversaire. A suivre…