Note de Madame Frédérique:
A de nombreuses reprises, la continuité apparente du récit central, ou paraissant tel ( l’enquête sur « Marcel Malbée, dit MM, Die Pate », ainsi que le nomme mon ex patron) est différée par l’immixtion de récits en apparence parallèles – peut-être comme des enluminures inachevées qui borderaient un récit troué ? On perçoit sans doute que, résignée à rendre public ce fatras dit « Lettre de A., Version B », par périodes, je serais gagnée par une lassitude vaguement agacée, n’eût été la puissance perenne de notre ancienne complicité. Maitrisant (plutôt :ayant pris connaissance de) la totalité du paquet, je peux anticiper d’autres cassures du récit central. Espèces de ruptures du contrat narratif, selon des parcours non pas du tout « poétiques », mais sur le modèle de chansons, refrains, rythmes, retours.
Lettre de A. Version B
Narration: Ydit a l’a promis : Retour sur FRED, permanente plongée en eau claire, donc :
« Dis leur ce que je fais là ! »
RECIT d’YDIT :
C’est déjà tard. Ydit entre ici avec les yeux d’un type qui n’aurait pas dormi depuis la moitié de sa vie, ou un lièvre que la terreur entérine. Debout encore, au milieu d’un amphithéatre bicentenaire, il écoute le professeur qui dépiaute les « Maximes » d’un bon (?) vieux Duc, on dirait un apprenti-cuisinier préparant sa Julienne d’une main gourde. « Main gourde, petit plaisir« , FRED aurait pu dire cela.
Assise dans la pénombre locale – l’université reste pauvre – sur un gradin derrière lui, elle (on ignore encore son nom ) dit : » C’est vrai, ça surprend, le décor, mais c’est parce que ça a été repeint couleur vieilles sueurs, les bancs de bois dur. » L’amphi semble vide plus qu’à moitié. Dans un mauvais roman le narrateur écrirait que FRED ( oui, la voici, mais la voici depuis si longtemps !) le remplit à elle seule, mais non, personne jamais ne remplit le silence. Même FRED dans le vent de pierre. Même Fred en montre en vitrine .
Sur l’estrade, en Sorbonne, le professeur procède : Ydit, encore, ignore qu’il sera et fera de même, quelque temps. Il est à cet âge où l’on ne sait encore rien de soi.
En cet instant, FRED s’est levée, puis a posé une main sur l’épaule d’YDIT, comme une aînée qui protégerait, pour le consoler, non pas des Maximes, non pas de l’hypocrisie (on en reste inconsolable), mais de l’immense inutilité parfaite de toutes ces précisions de chasseur dominical déguisé en artilleur de Verdun : études de Littérature …Ils ne se connaissent pas, et cependant Ydit recouvre avec tiédeur cette main très nue. Il apprend que même pressée dans un scaphandre tressé pour visiter les abysses, Fred est nue. Toujours. »Comme ça on ne perd pas son temps avec les vétilles. »
« Si on prend, dit l’orateur à la tribune, l‘une des maximes les plus fameuses de notre Duc et Pair, il est tout à fait intéressant d’observer les étapes de la rédaction. Par exemple : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ». Dans la première édition, celle encore anonyme de 1662, l’encore clandestin duc écrit : »……
« Un autre exemple, continue le dit-sécateur, serait la maxime probablement la plus célèbre, la 26 dans l’édition de 1678, dite « définitive », seulement parce que c’est la dernière ( la cinquième) publiée du vivant du duc, mais la XXIX dans la première édition, maxime que je cite dans sa forme accoutumée, soit « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », la formule de l’édition dite « subreptice » en 1662, seize ans plus tôt, et maintenue dans la « définitive » bien que la formule finale devienne « de face » pour l’édition de Hollande, publiée fin 1663, peut-être, mais plus sûrement début 1664, comme vous savez, bien sûr, mais sans doute à partir des mauvaises copies, ainsi qu’en atteste l’absence remarquée à cette place (presqu’au début des « Maximes » ), dans le manuscrit édité par Edouard de Barthélémy, dont je vous ai déjà signalé une étonnante médiocrité.
Le langage se perd dans des accords incertains, les ruines du texte sont dans l’ombre, les paroles vont se dissoudre comme une jeune femme dans les cauchemardesques tornades nocturnes.
L’amphi est obscur, lui aussi, sans intérêt, lové sur les infimes détails des textes étripés ici. « Do you have a light » dit FRED, qui s’amuse. Elle pourrait murmurer aussi : « I prefer do not« . Au moins une Gitane, une Camel, sans filtre? Et se rassied. A l’époque, on fume dans les universités ou les usines.C’est pourquoi le monde allait autrement. Ydit offre la cigarette.
Avec soin il évite les hollandaises, surtout
« Cette maxime est introuvable telle quelle dans le « Manuscrit de Liancourt », dont vous vous souvenez aussi qu’il répertorie les « Maximes » avant toute édition, mais ne contient pas celles ajoutées dans la perspective d’un publication, publication à quoi le duc ne pensait pas d’abord, évidemment, compte-tenu de son rang, et sur ce sujet – très délicat- des versions, je m’en réfère ici, naturellement, à ce qui reste une source inévitable, également inépuisable, le fameux article de GRUBBS » La Genèse des maximes de la Rochefoucauld, Revue d’Histoire littéraire de la France, 1932-1933″, vous l’avez dans la bibliographie que je vous ai distribuée, pour ceux qui ont eu le courage de la consulter, s’il y en a encore parmi vous. »
Le professeur de Sorbonne marque un temps, certain de l’émotion curieuse (ou de l’étonnante émotion?) de son auditoire dépecé, diminué, en voie d’approche tendancielle d’un taux de profit voisin du zéro. FRED, encore sur la banc arrière, a saisi la Camel tendue par YDIT, dégagé sa main, et ne fume pas. On ne gâche pas la chaleur.
Ydit commence à devenir sa propre silhouette qui marche dans le soleil de FRED.
Le Professeur : « Il faudrait ajouter le commentaire de la reine Christine de Suède, j’ai déjà évoqué l’intérêt moyen des remarques manuscrites faites par elle, de sa plume, sur son exemplaire, en Français, même si cela nous guide dans notre approche de la « réception » du texte en Europe, Maxime donc elle écrit, dans le premier manuscrit : « Cela est vrai, humainement parlant », puis- dans le second (mais vous en connaissez l’authenticité tout à fait douteuse) : « Cela est indubitable ».
Fred a saisi l’épaule d’YDIT, et le fait asseoir à ses côtés sur le banc de la faculté. Ydit cesse de prendre des notes comme on prend le soleil nu sur une crique à TAXOS, une terrasse près d’un lézard ne regardant pas vers Adèle : sans y penser, pour savoir qu’on est là. Elle murmure et parodie, s’approchant non sans danger: « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder de face? » Ou, plutôt : « Le réveil de l’amour ne peut se regarder sans liesse… » Ydit ne peut dire à quel degré de Breton elle se réfère, il ne la connaît pas encore assez. De Fred il sait déjà qu’elle est toujours nue et ne montre jamais rien. « Comme ça on ne perd pas son temps avec les vétilles. »
Ou encore, dit-elle : « Mais le sommeil et mon corps peuvent se regarder de fesse« .
Avec peine, il retient le rire, c’est toujours difficile de se retenir de Fred. Corps et mots, finesse et peaux. Comme ils continuent de regarder le vieux prof qui s’embrouille dans ses ruelles de bibliographie, tandis que les fiches s’enfrichent pour de stériles moissons, elle continue – visage sévère et frange mobile ( l’usage de sa frange par FRED a toujours été d’une parfaite déloyauté) : « L’hypocrise est un dommage que le vice fait à ma vertu« , ajoutant que cette dernière s’en fiche de stériles passions.
Elle comme YDIT ricane, ou ricanent.
Elle demande : « Une autre ? ». Ydit que Oui, le plus souvent : FRED : « L’hydrophilie est un partage que l’iris fait à la tortue ». On s’amuse de mots… Elle gratte d’un regard plein le vernis de ce qui règne en ce temps, « La Critique Textuelle », et maintenant elle fume avec une bouche fermée ce qui forme la substance de la drogue la plus violente, ces années là : Le Texte, la monnaie des macaques. .
Ydit observe que ça finit par ne plus dire grand chose, les détournements de Maximes Larochefoucauld, deuxième duc du nom, pair de France, lui aussi, prince de Marcillac, né rue des Petits Champs à Paris, à peine percée pour lotir les Hotels particuliers de ces Messieurs, on s’ennuie à force, et FRED, qui s’en fiche comme un Duc d’un tabouret (d’ailleurs cette histoire de tabouret, c’est un autre Duc), FRED lui demande si on n’irait pas plutôt boire un café sur la place, pour partager des savoirs, et plus si affinités, tout commence par des savoirs, ici, en Sorbonne, mais pas en face, à « L’Escholier », c’est davantage les regards… L’espresso y est bon et l’herbe facile ? Tu viens ?
YDIT s’étonne de la proposition (c’est une autre époque),
FRED répond : « Shorts mis à part, c’est-à-dire moins que rien, si on regarde, …vous n’avez pas l’air de vous y connaitre beaucoup en jeunes femmes ? «
Et c’est ainsi que les hommes virent. Ecrivent. Finissent? En tout cas, c’est ainsi que se présente FRED.
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YDIT-BLOG, nouvelle saison, saison 4, Episode VINGT-ET-UN /partie 2 sur 2- FRED et le Vieux Duc, La Saison 4, dit-elle, à La Ferté-Vidame, dans le salon de Madame, c’est son portrait tout crasché ? (fin du détour par l’écume des ruines et l’air de la verdure) A suivre, à la petite semaine. Mais on sera en février, le 7, pour tout avouer. A 15h57. Enfin, si « tout » va « bien »…