YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 19/99, Chapitre 6 – milieu .

Modène plan et SPO 2 (1)

 

Sans savoir, ils marchent dans le territoire aisé de leur ignorance, , et comment leur reprocher de ne rien regarder de ce qu’on n’indique pas ?


Une agréable lassitude sensuelle s’installe. Blotti sur l’une des terrasses, je regarde doucement les hommes et femmes allongés par le début d’ombre, et qui se prennent pour des Giacometti rigolards pressés de retrouver les copains pour le Spritz. Aujourd’hui, parce que toute lumière posée sur le plan de la ville, ou le plan de vie, est une véritable caresse qui disperse les détresses et dénoue le tresses embrouillées d’existences parallèles, je peux m’asseoir et les regarder.

Ailleurs,eux-aussi éparpillés loin de l’agence, Moscou ou Césarée, Washington ou Pingstown of the Maine, Paris ou Berlin les vieux compagnons de classe et de chasse lisent à distance les notes prises sur la tablette et s’accablent ensemble de ce vieux style.Ils vont finir par me retirer ma carte de bavard.

 

 

 

 

La terrasse superbement bruyante recueille des fins de trajectoire à vélo. On les pose où on peut, comme on fait des souvenirs qu’on ne monte plus, car enfin leur pas s’est ralenti, leur échine abaissée, leur crinière éparpillée.

Je regarde, comme un vieux sous l’acacia du village ? Non, j’avance très sereinement vers les passés.
Las mais joyeux, je m’offre un dîner sur la terrasse de la place Mazzini, fermée par la synagogue, et une salve muette d’arcades chantant silencieusement sous les dernière lumières.
En face, dans la gelétaria, il n’y a plus que deux serveuses sur trois, en passant je leur ai adressé un petit signe de connivence, elles m’ont reconnu, mais si, mais si, le vieux bavard de ce matin, et je les vois depuis ma table, encore. Je dis mon plaisir à l’iPhone : verdeur des corps, glacé des sorbets, en garniture légère sur l’épaisse spécialité régionale des terreurs fascistes et des lois raciales, la vie, la vie, la vie d’abord, la vie toujours.


Elles se penchent loin dans les basses armoires glacées, pour une jolie parade, quand de dos, cherchant dans un large buffet sculpté les cornets utiles à leur aimable industrie, elles ajoutent à l’éclat du short tendu sur sa brièveté la force malicieuse d’un souvenir en train de se construire à main nue. « Encore une phrase à la mord-moi-le nœud », dirait Mark, si je lui adressai mes notes de séance photo. Mais non, et pas davantage à Cécile ou Sergi. On a ses pudeurs.
Mais je ne fais pas de photos. Comment exposer le bonheur paisible et douloureux de ces superpositions de temps?


A côté de moi, en terrasse, six dineurs mâles, gros commandeurs-bâffreurs, ont empli leur table, serrée, de plats très lourds, pizzas, plâtrées de pasta, vasques de salade. L’un d’entre eux, d’un geste impérieux, pour son confort (car c’est lui qui va payer l’addition) tend brusquement à la serveuse un plat de faïence vidé de ses antipasti. La serveuse, une quadragénaire vive, son plateau est plein, elle est fatiguée, il a fait 36 ° à 16 heures, on est fin aoùt, il est 23 heures. Pourtant, elle saisit le plat, gentiment serviable en serveuse pas servile. Trop vite, trop de gestes depuis le matin, trop d’usure des doigts, ça tombe, se brise, dans beaucoup de bruit. Le client marque un puissant geste d’agacement, on le disturbe, on le pénibilise dans le digestif atone, on le disfracte dans ses intérieurs replets, toute une langue à la Audiard me revient. Elle, elle ne dit rien, ne montre rien. Reste debout, et c’est l’essentiel ici, sur cette place précisément, rester debout. Sur cette piazza encore davantage que partout ailleurs, rester debout.

 

 

Elle porte le plateau comme une princesse lointaine, de ces femmes esclaves jamais colonisées de l’esprit, dans un rite archaïque et beau. Lui, qui est mon voisin, je le regarde au fond de l’impassibilité de ses yeux. Il voudrait se lever, il voudrait me frapper, renverser sur mon visage la puissance violente mais dérisoire de son pouvoir de maître-payeur. Je soutiens son regard, tranquille comme un commandeur pas pressé.
La serveuse ramasse les débris, elle perçoit l’échange des regards, la lance pointée, la monture qui piaffe, le heaume qu’un écuyer maladroit va fermer trop sèchement. Elle, fine comme une femme de quarante ans au milieu d’imbéciles du genre mâle, elle, saisit un verre de Grappa sur le plateau d’un collège qui passe et le tend au client : « Geste commercial monsieur, avec nos excuses pour le bruit ». Il saisit sans remercier, boit d’un trait, balourd et vaincu. Elle et moi nous sourions. Sans rien dire, je plains sa fatigue et sa patience, elle accueille en silence ma complicité.

Sur le banc, je fais des photos du plan couvert par les marques d’un ancien projet abandonné par nouvelle histoire : FERRARE.Modène plan et SPO 2 (1).JPG

Modène plan et SPO 2 (2)

(on peut encore voir très ci-dessous plus d’une centaine d’épisodes de « YDIT »)


Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 19/99, Chapitre 6 – milieu . A suivre, le 29 juillet.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 18/99, Chapitre 6 – début .

Chapitre 6

Je peux reprendre ma route vers le jardin

Plus tard, sur le Mercato Storico Albinelli, j’achèterai des légumes cuits à la vapeur vendus dans une barquette en bois léger, une part de tarte aux noix. Je visiterai ensuite l’étonnante « Galeria d’Este » cachée au sein du Musée, rencontrant l’éblouissante fulgurance d’une Annonciation, superbe, émouvante, due à Ferrari, rouge et vert et bleu.
Marie est à droite, sur un piédestal une estrade au sommet de trois ou quatre marches, debout et comme ne pouvant comprendre, mais la douceur du visage dit l’acceptation joyeuse. Au-delà, en fond, un porche immense en demi-cercle, dans une perspective implacable de douceur et d’impossible, s’aperçoivent les contreforts du mont, derrière des fragments apaisés de ville, et avant les sommets d’une montagne à peine pointue, qui s’ouvre sur le ciel sans limite, le peintre conduit ainsi- assigne- le regard, il l’y mène vers l’infini de l’infini.

Sans que je la voie, Stéfania prend-elle des photos pour la concurrence?

Il y avait toujours un vecchio pour veiller sur les anges, mais il n’y a plus de vieux qui vaille !

Rares instants où une absolue perception de la perfection s’impose à tout commentaire profane, comme devant la vierge à l’enfant de Bellini, à gauche dans San Zaccaria de Venise, ou la Santa Anna du Vinci, l’indépassable stupeur silencieuse que provoque l’atteinte de l’équilibre définitf. En cela tout est dit, qu’on y croie ou pas, c’est là. Laïcard sans réserve, vieux teigneux, incroyant notoire, et en émerveillement devant ces toiles.

« La beauté se passe de contenu », affirmait Picasso lors d’une discussion, au lit, avec Françoise, en ajoutant : » T’irais pas me faire un café, querida ? »

Retour sur la piazza de la Torre, centre historique.

Un mur entier de l’église, au nord, est consacré à des photos noir et blanc, exposées sur trois panneaux de trois mètres sur deux mètres, en peu en hauteur, plaque et fleurs au pied, portraits tous au même format, tous accompagnés d’une brève notice, images de centaines de résistants exécutés, la plupart après 42, quand Mussolini,

en dictateur vaincu-emprisonné puis libéré-sauvé par Hitler, régnait sur l’illusoire et dérisoire mais vengeresse république de Salo, totalement aux mains des pouvoirs nazis, au premier rang desquels, hélas, la gestapo et le SR. Dans la salle du haut ne siégeait qu’un tribunal désert. Mais les notices ont été enlevées.


Une plaque, abrégée ici, datée de décembre 1947, pour la ville médaillée d’or témoigne… « opponeva la tenacia invincible dell’amore elle libere istatizioni. In 20 mesi di titanica lotta… » Plus loin , une autre plaque, datée du 25 avril 2006, date anniversaire : « Dope l’8 settembre 1943, in Italia, occupazione tedesca i fascismo di Salo portarono deportazioni, rastrellamenti, reppresaglie a colpire chia era vitima di lunga persecuzione, chi lottere… ».

Dali aurait-il affirmé, en prenant une Gala de Balthus sur se genoux : » Tu sais, mon bébé de sucre, les images de souvenir se passent de contenu »?
Sur les trois panneaux, les femmes ne sont pas rares. Une maman assez jeune s’est arrêtée. Elle montre une photo à sa fillette, dix ans. Un grand père ? L’une des victimes, je n’ai pas noté son nom, a pour date de naissance 1870.


Je glane plusieurs images, toutes émouvantes, comme un pauvre cheminot de jadis ramassait les fruits tombés en bord de route. Les portraits proviennent visiblement de documents d’identité, voire d’images familiales, ce ne sont heureusement pas de fiches de police. SMERERI, Umbertina, 1920, l’air déterminé.


A côté, son père sans doute, Guiseppe, comme étonné. TARAVELLI, Emilia,1925 (assassinée si jeune !) apparente naïve, à côté de TASSONI Amélio, 1914, militaire barbu. Les frères VOLPI, Carlo 1920, grave, Renzo 1927, si jeune aussi, souriant.
La famille ZANASI, Valentine, l’aînée, 1915, lunettes d’institutrice, ou la dirait venue d’une nouvelle de BASSANI ; Guiseppe, 1926, un peu hautain malgré l’âge, Augusto, 1922, large sourire. Les images des morts dans la ville assoupie.

l’évacuation en arrière-plan de la fête

testimoniare con il suicido l’assurdita delle leggi razziali

Les photos de Modène sont comme l’écho anticipé d’autres noms sur les trois plaques de Ferrare en hommage aux assassinés de 1943, cette nuit dont Bassani a fait une nouvelle, que je lirai, à force d’en parler.


Des touristes agréables et suant sous la lumière passent en tenant des mégots, des textos, des vélos, des photos, des fardeaux, des dodos, des mélos perso. Ils ne détournent pas la tête car leur trajectoire en oblique sur la place ne conduit pas devant le mur des exécutés.
Sans savoir, ils marchent dans le territoire aisé de leur ignorance, comme plus tard à Ferrare devant la plaque de la rue Mazzini, et comment leur reprocher de ne rien regarder de ce qu’on n’indique pas ?

Seules les données proposées par le blondin pâlot de l’office du tourisme m’ont signalé l’existence de ce mur. Mais il a reconnu en moi, dès mon premier geste, un de l’Agence.

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 17/99, Chapitre 5 – fin. (Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…)

Miettes abandonnées sur la nappe mal tirée de la table de la mémoire, ou dans un lit dont les draps sont trop peu tendus pour interdire aux souvenirs de galoper sourdement vers leur propre disparition programmée. Quand on bouge, ça gratte, on n’échappe.
Là, en général, les juniors s’esclaffent : « ça y est, le vieux a dépassé les trois cafés, la métaphore s’effile ! »

Photo by Anna Shvets from Pexels,merci


« Comparer les souvenirs de résistants à des puces de matelas, c’est un peu méprisant », pourrait dire Stéfania si elle avait la moindre idée de ce que pensent, de la vie, tous ces hommes qu’elle héberge, pour une nuit.Et qu’elle espionne, peut-être ? On ne le saura jamais.Ce matin, pour renouer le fil Internet, j’ai observé de curieuses connexions.Et cette photo de nuit , volée? Imaginée?
Elle ajouterait plusieurs ravageuses observations, sur cette prétendue molle « Résistance au fascisme », mon œil, elle en sait beaucoup, on le verra, en particulier sur la politique de relégation, d’interdiction, d’exil et de résidence surveillée au lieu de l’exécution massive, cet art si méticuleusement mis au point par les précurseurs de la Guépéou, par exemple, au nom des bienfaits qu’espère une populace certes inculte, mais tu vas voir, je vais te lui apprendre la culture du parti et la véritable nature du vrai soviet, moi, à ta populace, Mikaël, passe-moi un autre chargeur.


Et bien entendu également sur cette apparente longue indifférence italienne à la question juive, jusqu’en fin des années Trente. On l’écouterait avec méfiance, pensant à cette accumulation de portraits de Résistants qui forment sur le mur d’un église en centre-ville, près de la place principale, un monument très présent.
Comme souvent, je suis passé à l’office du tourisme.


Avouons ici que c’est le guichet parfait pour des échanges d’informations riches pour l’Agence, et nul n’y perçoit malice : on donne les bonnes adresses, les recommandations, les ultimes nouvelles des réseaux. Les endroits où dormir, dîner, rêver, avoir ou écrire des rapports.
J’ai suivi la conseil. La synagogue date du 19ème et d’ailleurs l’accueil si bienveillant des expulsés a concerné le duché de Ferrare, certes, mais surtout la Cité-Etat elle-même, l’alors capitale Ferrare. Sa façade modeste, où l’étoile de David apparaît à peine, ferme une place sereine, moderne, à dimension de «carré long »comme disaient les maîtres architectes depuis les fameux dessins laissés sur son carnet d’œuvre par Villard de Honnecourt. Les rues rares débouchant ici, et les arbres déjà hauts, façonnent presque une place de village.


Des couples déjeunent d’un panini-fallafel, assis sur la margelle octogonale de la fontaine où alternent les pavés noirs et blancs, marbres usés par beaucoup de mains et de shorts. Une famille Loubavitch passe lentement, perruque, longues jupes, enfants déjà déguisés pour sembler religieux. On se regarde. Ils devinent qui je suis, ce que je cherche, et perçoivent que mon creusement de la mémoire ne vaut nullement respect de leurs intégrismes. Le père hâte la marche des sept enfants, dont un encore à l’abri du ventre maternel. Je n’aime pas ces sortes d’intègres.
Dans la gelateria qu’occupent assez joliment deux ou trois étudiantes habillées en serveuses, je m’offre de quoi ne pas perdre du temps à déjeuner. Du pain aux noix reste dans mon sac en bandoulière, depuis les cafés du matin. La besace du migrant volontaire et confortable ?

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : « Le Jardin de Giorgio Bassani », Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…épisode 17/99, Chapitre 5 – fin. A suivre : »Je peux reprendre ma route vers le jardin »

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 16/99, Chapitre 5 – milieu.

Modène, cette nuit de l’errance où l’agacement l’a emporté sur la surprise

Dans Modène, à la suite de quatre heures d’un sommeil traversé de rêves, arrivées/départs à Ferrare, de pigeons amoureux dès l’aube et de volets déroulés au matin par l’accorte voisine, des orages menacent. J’avance comme un toro drogué dans les rues d’une antique ville du sud, avant qu’on ouvre la rue aux afficionados éméchés.


Dans le jour mitigé d’un matin ombre et soleil, je revois certains carrefours de la veille, et je comprends comment j’ai pu me disparaître à moi-même.

Plan de la fête

Après le restaurant et le vieil hôpital où se tenait cette sorte de fête un peu vénitienne, un peu punk, j’aurais dû quitter la ville par le sud. J’avais pris le nord, par moi souvent perdu, car je suis distrait.

Arrière plan de la fête


Tout près, une voiture militaire de « Ville paisible »stationnait, pour défendre les monuments à Garibaldi d’attaques sournoises, je suppose. Les trois soldats, dont une gradée à silhouette agréable dans le treillis ajusté, presque on abandonnerait les préventions contre le militaire, discutaient en paix, cigarette à la main, arme en bandoulière, comme des chasseurs à la pause, davantage sortis pour partager un coup que pour tirer…


Engagé sur la viale delle Rimembranze, et encore par ces noms successifs conduit vers la célébration de la mémoire et des victimes.
A cette heure-ci, à Modène, tout était clos, hormis ces endroits où les touristes se forcent à croire que le jour ne va pas s’arrêter, les vacances finir, la mort rigoler de leur bêtise, à leur faire la bise. C’est aussi un bon moment pour songer à l’Emmanuel, le Kant, et à cette immense rigueur morale qui commençait son cours, dans le plus intime de ses cauchemars : « Faut quand même pas espérer t’en tirer, mon petiot, tout charmant que tu paraisses, si tu écoutes de la musique corse en grignotant des tapas dans ton jeans 501 délavé qui porte des traces de Talisker !», ajoutant qu’il aurait probablement été moins sévère avec un bon Mac Allan ambré, ou un jeans moins serré.
Sans doute est-ce le moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement.
Ce matin, après quatre ristretti (la bonne dose pour explorer l’expérience des limites), me voici dans l’escalier qui rejoint les salles du Musée communal.

L’ensemble du palais conserve son plan et ses tapisseries d’époque, celles des Ducs d’Este, mais il est trop grand pour la petite administration de la ville (dans la mesure où ce concept aurait du sens). Des salles, non contiguës, sont aménagées en parcours de visite. La signalétique, due à un fonctionnaire ébréché managé par un édile en ruines, ressemble à un jeu comme on en trouvait dans les fêtes foraines jadis. Palais de glaces, reflets de miroirs, flèches sans suite et suites défraîchies. Labyrinthe. Mes parcours vers Ferrare sont sinueux. C’est bien, on arrive souvent trop tôt, à mon âge, à la fin.
Au détour d’un morne couloir, une dame dactylo, derrière une porte, habite un cagibi aux apparences d’antiquité coûteuse, et son amabilité visible vient d’attirer une équipe de cinq ou six anglaises qui la confondent avec l’accueil lorsque surgit une conservatrice morose coiffée de blond vénitien. Elle s’offusque, pantomime, s’évertue, enfin les chasse ex-abrupto.

J’ai pu voir, dans les interstices du drame, des étagères malingres où s’étiolent des bustes anciens- papys dignement Romains- et des cadres dans lesquels sourient de piteux élus assoupis de poussière.
Jolie leçon pour une hypothétique notice sur la mémoire, « La Résistance et les Renaissances.»

Errance dans Modène, et pourtant comment ne pas se souvenir de ce nom ?


Un pupitre, épargné par la fuite massive des Anglaises, annonce : « Officini, vietato ingresso », mais je suis là pour franchir d’invisibles.

Une plaque, au fond d’une salle qui doit être de cérémonies, rappelle les martyres et dévouements des Résistants à Modène.

Il y a, dans les replis sur l’abdomen de la cité, comme des miettes tombées lors d’un repas cossu, tout de commerce radieux et de tourisme fructueux. Un peu rassies, elles empêchent de s’endormir trop vite dans la torpeur risible de l’oubli. Miettes abandonnées sur la nappe mal tirée de la table de la mémoire, ou dans un lit dont les draps sont trop peu tendus pour interdire aux souvenirs de galoper sourdement vers leur propre disparition programmée. Quand on bouge, ça gratte, on n’échappe. Des filles aero-postales traversent la nuit de la mémoire.

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : « Le Jardin de Giorgio Bassani », Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…épisode 16/99, Chapitre 5 – milieu . A suivre. Le 21 juillet…


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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 15/99, Chapitre 5 – début .

Chapitre 5

Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…

Je rêve de Ferrare, son jardin, ses secrets, le ghetto, le Bassani, mon Giorgio ignorant de ma familiarité posthume et je me disperse dans le rêve, c’est agréable de se perdre en chemin.

A Modène, la ville de Stéfania, les voitures camouflées de la force « Ville paisible », imitées du « Vigipirate » français, s’exposent par endroits au milieu des touristes, comme de grosses tortues qu’une vague molle, un matin, aurait échouées près des paillotes à barbecue. Le plus souvent, on les voit aux carrefours près des cathédrales, des monuments mémoriels. Garibaldi tient la corde, Mazzini sur les talons, pour leur course dans l’histoire de ce pays. On voit maintenant que l’armée protège la mémoire ? Que les jeeps conduites par des soldates fréquentent l’érection du souvenir?

la patrouille au pied du monument Garibaldi

La patrouille au bas du clocher


A Ferrare, il n’y a pas, dirait-on, de forces de l’ordre. La ville du dedans et sa « Mura » forment un univers déjà fortement contrôlé en lui-même : passants et touristes, commerçants et vieux en shorts, serveurs pour terrasses pleines et gardiennes de musées vides, pentagone bien tracé : pas de place pour la mauvaise surprise, de lièvre agile dans un potager bien tenu. De très rares voitures de la police municipale, modèle Fiat 500 de collection, transportent en rond deux fonctionnaires usés de canicule et qui paraissent toujours trop grands pour leur siège.
Ferrare toujours a été une ville paisible, Giorgio Bassani raconte ses torpeurs, ses mutismes mutins, sa somnolence sans cauchemars ni ristretto ni Théralène, et ses réveils sans bouche sèche : ici le fascisme mussolinien paraissait semblait-il familier comme une balade d’amoureux sur les remparts, à peine plus menaçant que le passage d’un prêtre sur son vélo noir, va-t-il se prendre les pieds dans la soutane ? Ou relire Savonarole, enfant de la ville ?


Hier soir, à Modène, ou pour dire plus vrai : très tôt ce matin, il était tout de même trop tard pour raconter mon détail de l’errance, et j‘ai fermé le bloc-notes sur lequel je prends mes notes de voyage et de mission, depuis vingt ans, quand la batterie ou les caprices de l’iPhone gèlent mes paroles. Hier soir, quittant le restaurant-devantures maquillées de brouillard- j’ai suivi le pire des itinéraires, avec un réel agacement, car tant de marche au milieu de tant de nuit, si peu de lumière pour une pénombre, une sourde fatigue de l’intelligence à force d’être bousculée par l’imprévoyance, à bientôt soixante-dix ans, on devrait avoir appris à sortir autrement que pour se perdre.

On attend davantage de fraternité, qu’un groupe d’amis vous englobe dans son dessin de chemin-sût et fort. Celui du plusieurs.

Military Personnel Parades on Road
photo Carmen Attal pour Pixels, merci


Moi, je marche dans la vie de la ville, et la ville qu’est la vie, sa gare ouverte dans la clôture des remparts, je parcours les en-ronds de l’espace comme le font les hommes depuis qu’ils sont issus du marécage.
Sortir, passe encore, mais marcher à cet âge.

Ma capacité à faire l’étourdi agaçait un peu Le Doyen, mon patron, bien qu’il ait été à chaque fois contraint de le reconnaître : je m’en étais finalement bien sorti par d’acrobatiques improvisations, et je revenais avec des notices très dodues dans mes filets, et de temps en temps du gros poisson. Ou un dodu dindon, dit-on.

A présent, Le Doyen est mort, on le regrette (et peut-être lui aussi, bien qu’il parût las en fin de mandat) accident de pirogue vers Saint Laurent du Maroni, paix à l’âme du crocodile ayant opéré la dernière transmutation. Ya pire, le Doyen était bien nourri, rien que du Bio de chez Bio C bon, c’était bien payé, Doyen.
Et moi, de nouveau, ce matin, je ripatonne dans Modène, mal éveillé de mal endormi,c’est dur à suivre la construction des voyages, loin du centre à la recherche d’un petit déjeuner, mais dans le Sahara qu’est le quartier de Stéfania, rien, pas un bar ristretto/brioche. Boutiques : «  Tutto meta prezzo », ça tombe plutôt bien, je voulais m’acheter des bottines. Si l’agence me solde mes honoraires de consultant.
La sereine lucidité qu’apporte le réveil après cette nuit trop courte m’invite à parcourir dans le jour les croisements trompeurs de la nuit. J’ai de vieux compagnons, à l’Agence, parmi les plus gradés, qui aiment cette devise commune : Savoir/Comprendre/Agir, bon viatique pour réintégrer des lumières dans l’obscur.

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Didier Jouault pour :YDIT-suit : « Le Jardin de Giorgio Bassani », Modène, ce moment de l’errance où l’agacement l’a emporté sur l’amusement…épisode 15/99, Chapitre 5 – début . A suivre.

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ydit -Blog Nouvelle saison SAISON IV

Oh,là là,mille excuses, mauvaise surprise

TRES ENORME maladresse de programmation,

actif action beau brouillard Photo de Pixabay sur Pexels.com

l’anacoluthe destructrice,

le disruptif assassin :

ce texte est prévu pour le vendredi 9 octobre !

beau chaleur charmant chaud Photo de Skitterphoto sur Pexels.com

Donc, il est incompréhensible ( encore plus que d’habitude? diraient les amis du trio : bonjour  tous les amis

DONC,♠ à supprimer ♠ tout de suite, oh,là,là

homme personne individu sombre Photo de Tobias Rehbein sur Pexels.com

Voir l’article original

YDIT-suit ( mais ça suit pas !): Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 41/99, pas possible qu’on ait raté tout le reste ? Chapitre 13, bah non – ça chauffe toujours entre Orient et Occident -second milieu.

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YDIT-suit ( mais ça suit pas !): Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 41/99, pas possible qu’on ait raté tout le reste ? Chapitre 13, bah non – ça chauffe toujours entre Orient et Occident -second milieu.

Oh,là là,mille excuses, mauvaise surprise

TRES ENORME maladresse de programmation,

 

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 12/99, Chapitre 4 – début. Donatello ? Non, je ne vois pas ? Ah oui, Donatello !

Chapitre 4

Donatello ? Non, je ne vois pas ? Ah oui, Donatello !

Il pleut encore, le restaurant est plein, les vitres couvertes de buée donnent une apparence de noël. Je me mets à écrire sans peine sur le bloc à l’en tête de l’Agence, j’en ai apporté quatre dans le dessein de prendre des notes à tout venant, du doux-venant de petite annonce, genre : « homme d’expérience plutôt en forme voyage seul pour cette semaine clôturant les vacances d’été : trop soucieux, s’abstenir. »

Trop soucieux s’abstenir


Evidemment, ce ne sont que faux-semblant.

Passé un certain moment de la vie, je n’ai plus rien contre les apparences, surtout que leurs tromperies sont le plus souvent très pratiques.
Des messages me parviennent. L ’iPhone se trémousse en silence. De loin Stéfania meuble mon silence intérieur de ses conseils bavards, je devrais aller ici, je pourrais voir ça, moi les conseils, je n’écoute que ceux d’un petit nombre habilité par le pire expert vivant : moi.

J’écris aux filles, qui sont en voyage à NYC, ou à Edith. Ensuite, on passera sans doute à d’autres, et d’abord aux vieux compagnons de l’amicale, l’imprescriptible Trio, mais pas d’urgence pour les rapports à rédiger. A ce point de ma vie, ça peut attendre, les rapports.
Je voyage, donc j’espère.

J’aime ces heures entre un départ et une arrivée, retards chez le médecin, vol différé, trop de brouillard pour embarquer, devenir juste un passager qui attend, assis, paisible, on ne me demande pas au micro. Rien ne dépend plus de moi. Petit vieux tranquille en pleine rêverie sur un banc. A quoi pense-t-il, s’il pense encore ? A son nom de bien-vivant sur une plaque ?

Les participants de la course


Le vin rouge du restaurant tient mieux ses promesses que Stéfania. Il donne à l’acuité bruyante du réel des allures d’esquisse ? Au troisième verre, j’arrête. On dit toujours cela, mais je m’y tiens : raté, je ne suis pas un narrateur alcoolique perdu dans une BD nostalgique. J’aime encore trop savoir où j’en suis.
L’inévitable ristretto. Je regarde les serveurs, et celui qui m’a prestement fait dîner, une fois qu’il a perçu mon attente. Il bavarde avec le couple d’une table voisine, des amis de son âge. J’aimerais savoir si un serveur de Modène, restaurant populaire plutôt périphérique, éprouve le désir d’être ailleurs -à Parigi ?-, s’il sait un peu d’histoire sur la famille d’Este qui a fait de la ville, Modène, sa nouvelle capitale lorsqu’il a fallu quitter la précédente, Ferrare. S’il est allé – hormis en visites scolaires-accompagnées de sœurs en cornette- regarder de près et même un peu toucher les pierres du château ducal, les tableaux de Ferrari, la surprenante bibliothèque au premier étage de la maison municipale, ici même, les touristes s’y portraiturent dans l’abrégé du JPEG…

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est imagerie.jpg

à l’étage : écrasant fatras de livres ésotériques, chiffres et kabbale, chemins d‘initiation ou fragments d’alchimie telle qu’apprise, et transmise, par des rabbins frottés d’Islam comme les bois d’allumettes sont frottés de souffre- à défaut de soufisme-, et j’aimerais savoir s’il est allé, sans les sœurs à cornette, visiter la voisine, regarder de près et même un peu toucher son genou si clair ? A quoi rêvent des jeunes filles quand elles ont des serveurs à Modène ?


Sur cette question qui révèle davantage une féroce volonté de vacuité qu’un début d’ivresse, je décide que je vais rentrer à pied.

Malgré de nombreuses tentatives, perdre des souvenirs chaque fois que j’en trouve de nouveaux, des jolis ou de moins, reste impossible. Bien sûr, à force, du coup, ça fait brocante sans jeune femme à chemisier Liberty, ça encombre, ça vous reste sur les bras, parfois l’estomac ( ou serait-ce le piment des raviolis All’estimata ?).

Stéfania, qui s’en voulait aussi qu’il plût, m’a prêté un parapluie à fleurs, un peu cassé, dit-elle, dans son sourire déclassé, mais depuis toujours j’ai pour les signes de la pauvreté chez les autres le respect d’un type provenant du même paysage et devenu confortable chez lui. Y a –t-il chez ma logeuse (le terme, on dirait une mauvaise traduction du Russe XIXème), un objet neuf ou beau ? Dans un roman russe XIX, traduit par Sergi, on dirait que son âme est belle, Stéfania, tu parles.


Dehors, très vite, la nuit se montre épaisse derrière les pluies continues. La marche boit l’humeur du vin rouge. Je n’ai pas envie de dormir. Souvent je n’ai pas de complicité avec le sommeil.
Et s’ouvre ainsi, soudainement, le grand écart de la nuit . Sans avoir rien décidé d’autre que la rue à gauche et non à droite,( je verrai ensuite que ce choix m’ouvre la porte du labyrinthe ) choisir vite décider mal, j’initie une vaste errance dans la ville très pliée sous son orage .

Arcades, places, arcades, statues, et je n’aperçois, par endroits, que des brouillons d’étudiants, seuls capables de dessiner leurs rêves, encore debout à cette heure. Une musique forte provient d’un espace derrière une façade mal indentifiable dans sa vétusté banale, hôpital, musée, lycée ? J’entre.

Deux ou trois cours étroites, enchainées de guingois, des arbres dont les pieds sont enterrés sous des lattes de bois peintes de couleurs virulentes, des poutres de large troncs équarris au carré, des tables délavées par les verres, la pluie, l’imprécis mouvement des amants pressés d’en venir aux mains avant la fermeture.

La dernière cour, apparue au terme d’un couloir décoré d’affiches, contient une fête.

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Didier Jouault , pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 12/99, Chapitre 4 – début .Donatello ? Non, je ne vois pas ? Ah oui, Donatello ! A suivre

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YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 11/99, En route vers Ferrare Chapitre 3 – fin.

Chapitre 3 : L’orage éclate sur le quai 3.

Donc, en premier, Modène. C’est une drôle de ville où l’on vend partout des petites bouteilles-souvenir de vinaigre balsamique, comme ailleurs de l’eau bénite, , des flacons de concentré de saveur balsamique en guise d’huile solaire pour excursion polaire, des T Shirts à couleur balsamique, des chaussettes balsamiques, des burgers au balsamique.
Burgers, encore, ça va et je me demande soudain si la saveur si particulière du Ferrara burger au Gourmet Burger– Silvia me le conseillera ?


La géographie intime d’une ville, son centre, ses entrelacs, ses prières solitaires de moines sur les pavés ronds durs aux marches des visiteurs, ses fenêtres de façades XVIIIème cachant mal des encorbellements ou des meneaux comblés, la topographie d’une ville c’est comme ce qu’on perçoit du corps d’une femme connue seulement du bout des lèvres.

A Modène, puis Ferrare, ma recherche sur la Renaissance se dédouble d’une mission d‘enquête sur les oublis et les Résistances. Renaissances et Résistance, avec un goût malin pour le déplacement du S. Un rapport sur Elseneur ? Alzheimer ? Eisenhower ? Elzévir ? Algésiras ? Le rivage des Syrtes ?

(photo Silvia B.)
Dans le train, je me dis qu’on pourrait confier le rapport à Silvia, ma logeuse du 33B rue Belfiori, au fond elle tiendrait sans doute très bien le rôle. On en sait encore peu sur elle, sauf que c’est une hôtesse rapide, volubile en détails et silencieuse sur ses profondeurs. Elle raconterait l’arrivée d’un voyageur, comme par une nuit d’hiver…Dans la petite cour –jardin de la rue Belfiori, 33B – un bref dialogue suffit, avec les conseils de visite, les suggestions de rencontres amies, des indications sur les jardins et leurs musées, l’adresse d’un guide sûr mais pas banal, un certain NERO. Elle parlerait de ma chemise aux larges rayures colorées, dont elle croirait d’abord qu’elle référait à l’arc-en-ciel des gays. Puis elle comprendrait, aux couleurs mais aussi aux regards du voyageur, que c’est seulement une chemise un peu sottement vintage, comme en portent des presque septuagénaires racolés par une trentenaire amusée, sur un éventaire de brocante parisienne un jour de printemps. Huit, dix euros ?
Entre mes deux voyages à Ferrare, par l’intermédiaire du site de location, Silvia commença une série de récits sur Ferrare, sur Bassani. Tout cela paraissait un peu confus, superficiel. Je me promettais alors de creuser avec, au moins, Gallica. Peut-être le Mourre ? Silvia complétait ses propos décousus et peu sourcés par des paragraphes consacrés à Mussolini, à la république sociale de Salo. Dans l’un de ses messages, qui donnait des indications sur un grand père fasciste, « comme tout le monde à Ferrare ou presque avant 42« , elle racontait la lente déperdition due à la violence sournoise d’Alzheimer, bien qu’il fût mort d’un cancer de la langue avant de céder à son cancer dans la langue.

Dans un autre post, plus tard, trois jours avant que j’arrive ( il aurait fallu : j’arrivasse) pour la deuxième fois dans son petit jardin, et probablement la dernière dans sa vie (mais c’était une erreur d’appréciation ) Silvia communiquait l’état consternant de ses interrogations du site Gallica :« Comment intéresser l’enfant à l’école : la notion de centres d’intérêt chez Decroly », par Valdi José BASSANI, 1976. Ou encore, toujours avec l’entée BASSANI : «  Ce jadis –là valait bien ces joursd’hui »/ Dominique Antoine Paoletti, Jean Ambrogi, pref. de Felix Ciccolini, trad. di Lissandru BASSANI, 2001, Cozzano (Corse-du-Sud).


A force de lambiner dans le narratif, à Modène, on arrive, on est déposé par le taxi goguenard, Donatello? On lève les yeux, personne au balcon, des sonnettes à sornettes, mais on trouve la Sérafina.

Ou la Zéfira ? Ou Stéfania ? Les trois ? S/Z ?
L’appartement, choisi trop mal, trop vite, je répète pas, est situé à l’autre bout de la ville. Je devrai beaucoup marcher, ou réussir à trouver l’improbable arrêt du bus 342- chiffre surprenant pour une cité si petite. Marcher, rien de plus banal : tâter la chair de la ville sous les rides, traverser la mémoire des rues, c’est le rythme adapté au récit.

A Ferrare, dans trois ou quatre jours, je connaîtrai tout l’espace, et Silvia, dans ses messages et ses mensonges de loueuse, continue à chercher pour moi des traces pour chaque lieu.
Car il ne peut exister de lieu, et encore moins de récit, sans qu’une femme au moins y habite, plus ou moins déguisée en personnage. (photo Silvia B.)

( Se déguiser afin de barbouiller le réel ?)

A Ferrare, par la suite, la ville sera le personnage central. Mais on n’en n’est pas déjà là.
Pour tout dire, je me demande encore pour quelle raison, j’avais cliqué « retenir » sur l’AirBnb de Stéfania. Tant d’autres étaient envisageables, des duplex ou des logeuses. Un coup de doigt jamais n’abolira le bazar ? Salut Stéfania. Choisir mal, passe encore, mais payer à cet âge.


Une personne telle que Stéfania, Modène pas moderne, offre peu de prise au récit. Disons qu’elle est « totalement désolée » de mon retard, une heure et demie, elle s’excuse comme si elle avait elle-même conduit le train, poussé l’orage et sa violence sur le quai.

Une étonnante apparition de nuit dans l’appartement loué par S: elle guettait pour photographier le visiteur naïf ?

Elle est parfaite, je pose mes bagages, j’observe sans rien dire que le robinet de cuisine goutte, que le faux-marbre entourant le lavabo est fendu sur toute sa largeur, et que la voisine de palier dispose d’un chien expressif. Deux ou trois objets me semblent curieusement trop brillants, lavés, comme si on les déplaçait souvent malgré leur évidente inutilité. J’ai trop lu Le Carré, trop vu  » Le bureau des légendes », ces objets contiennent -ils des « mouchards »? Pour qui travaille Stéfania, une Agence concurrente, qui volerait mes données ?
« Il se fait tard » ( j’avais remarqué !) elle préfère m’aider au lieu de décrire le trajet, et m’accompagner en voiture, celle de son père dit-elle, elle ne sait pas très bien comment s’allument les phares pour la nuit et brouillard, ni comment on éteint le plafonnier, il y a du burlesque dans ce pathétique, on gagne un quartier plus animé, qu’elle vante au passage, elle a perçu ma déception : chez elle, c’est loin, c’est isolé, c’est moche. Le solaire et ses petites terrasses, c’est pas maintenant. Roulez, jeunesse, on parlera plus tard. L’orage nous rattrape à nouveau. Sale bête.
Stéfania me débarque devant une trattoria.

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Didier Jouault pour YDIT-suit : Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 11/99, En route vers Ferrare Chapitre 3 – fin. A suivre.

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