L’usage n’est plus ( ou presque plus) de griffer quelques phrases élogieuses sur un « livre d’or ». Le site Airbnb invite aux « commentaires » entre loueur et visiteur. Depuis le premier passage dans le « Jardin rose » au pied de la Silvia’s Terrace, jusqu’à ces jours même de retrait et d’absences, les commentaires entre nous deux sont devenus de très épisodiques échanges, parfois par le biais du site, parfois par mel direct. De longs moments de silence, un bouquet de mots, puis de nouveau le silence. Comme une marée, un peu? A deux reprises, j’ai demandé à Silvia son histoire, des nouvelles. Il ne me paraissait pas décent d’achever cette « saison » de YDIT-BLOG – les Italies du Nord puis les jardins de Ferrare- ( et qui pourrait affirmer qu’une autre saison viendra ?) -sans que l’émouvante hôtesse y puisse tenir sa place, sinon sa langue.
En deux parties, versants d’épilogue, voici quelques fragments de l’AFTER FERRARA. Des coupures, et l’orthographe originale des fautes de frappe- à ceci près que certains accents sur voyelles n’existent pas sur mon clavier pour transcrire précisément l’Italien. Rappel : le second séjour à FERRARE se situe fin août.
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30 aout 2019 Lui : Silvia, ton « commentaire » sur Airbnb est trop gentil, je suis confus. Pour moi aussi, ta présence très discrète mais quasi amicale, vraiment précieuse, a fait une belle partie de mon plaisir de FERRARA. Sans évoquer le soir du Vieux Ghetto. Je vais continuer à m’intéresser à la ville, au jardin rose, à toi.
3 sept 2019 Elle : Il mio commento è nato del cuore. Sei stato davvero n cliente fantastico, rispettoso et simpatico. La lingua no chi ha aiutato ma spero davvero di no perditi(…)
5 sept 2019 Lui : Tu as raison, ne nous perdons pas. Tu as vu, parfois, que je me mettais « au travail » sur la petite table du jardin. C’est une sorte de blog, une série de petites histoires sur l’oubli, avec mélange d’images et de textes, j’en ai publié 120 ou 130. Mais Ferrare, Bassani, les rues, toi, les nuits, les shorts à vélo : je vais , je crois, pour tout cela, interrompre mon projet et tenter d’écrire, pour ce blog, un récit-feuilleton autour des mystères de FERRARE, mystérieuse et si visible. Il y aura des ruelles, tes chats, un dîner au Burger, des ducs des guides et des juifs. ET toi qui passe sans rien dire devant des églises fermées. Je reviendrai.
17 sept 2019 Elle : Ciao Didier, scrivio in italiano, sara piu semplice(….)Sarebbe belissimo sapere del tuo blog e poter leggere le tue emozioni in questa città come sarei curiosa di saper questa donna con i suoi gatti ti ha ispirato !(…)E stato davvero un piacere incroaciti nella mia storia(…)Abbracio a te.
22 sept 2019 Lui : A Paris, le retour, le rythme, tout est rapide, tout s’éloigne. Mais le projet de blog est devenu ( en train de devenir) un roman, que je vais écrire d’ici la fin d’année. S’il y a une dame, cela ne sera pas toi, et ce sera un peu SILVIA- dont je ne connais que les brins d’histoire que tu laisses dans ton » livre de présentation » du Bnb : vies ailleurs, retour inattendu à FERRARE. Mais on aimerait en savoir plus! Tu veux bien?
11 oct 2019 Elle : Qui a Ferrara si lavora tanto in questo periodo, ma a breve avro tempo per scriverti con calma e raccontarti qualcosa del mio passato. Oggi piove, mi mettero a preparare un po ‘di biscotti e dolci’, in compagnia del gatti. Un abbraccio sincero(…)
30 novembre 2019 Lui : Alors, toujours des touristes affamés qui supplient l’un de ces fameux gâteaux-maison ? Je ne sais même pas quelle est ton activité- à part tout préparer pour les visiteurs ensuite embrassés. Je veux revenir à Ferrara, et à Vérona que je ne connais toujours pas ! Mais les obligations sont nombreuses, et je m’en suis inventé une autre, la plus lourde : je continue à écrire ce « Roman de Bassani »-et du coup je pense à toi. Je t’embrasse fort.
31 décembre 2019 Lui : Une semaine dans une maison louée en Toscane, dans le Chianti, avec ma famille, ravive des soleils de FERRARA. Je suis en train ( parfois la nuit) de revoir les toutes dernières pages de « Le jardin de Giorgio Bassani ». A toi, vraies bises et forts vœux pour cette 2020 que je t’espère belle, avec des nouvelles provenues du jardin rose, et des rencontres.
11 mars 2020 Elle : Buongiorno Didi, prometto che prima o poi ti mandero il racconto di questa donna e della sua vita. Nel frattempo augurodi cure a te(…)Sarebbe bellissimo poterti abbraccare in futuro. Un abbraccio e grazie ancore delle tue parole, Silvia.
21 mars 2020 Lui : Silvia lointaine. J’espère que tu vas aussi bien que possible malgré les très mauvaises nouvelles provenues de chez toi, ton Italie malmenée ? Et que tes proches sont préservés? Donne de tes nouvelles, je suis inquiet. Ici comme en Italie, tout est en train de se fermer, se replier, s’oublier sur une sorte de silence à la fois libérateur et oppressant. Voyage pour FERRARE et SILVIA ? Ce ne sera pas demain ! Dans la tourmente ( mais nous sommes très privilégiés dans notre grand appartement avec balcons et soleil ), je saisis le vide de la parenthèse pour l’emplir avec mon travail nouveau : je reprends mon roman ( jusqu’à ce jour, les éditeurs l’ont refusé), d’ailleurs à présent tout va devenir différent. Je mes suis lancé dans une « Saison » qui va s’étaler sur 80 ou 90 épisodes ( le roman » Le Jardin de Giorgio Bassani » ce sont 33 chapitres et plus de 270 pages : déraisonnable !)(…)
28 mai 2020 Elle : Ciao Didi, scusami se ti scrivo in italiano e cosi in ritardo ma son momenti molto difficili, penso alla tua richiesta et ti prometto che scrivero di me…Qui il silenzio è quello che hai conosciuto ma tutto attorno è molto triste. Al momento ho perso il lavoro, la primavera che doveva essere piena di nuovi ospiti è finita e io sono molto in difficolta visto che questa era la mia vita, il mio lavoro, le mie emozioni. Posso solo pragare che voi stiate, proteggetevi. (…)Un abbraccio soncero. SILVIA
2 juin 2020 Elle : Je suis née à Ferrare il y a quarante-cinq ans, quelques jours avant Noël. Je ne me plaisais pas à l’école parce que je devais y passer trop de temps. Depuis que j’ai 16 ans, j’ai toujours travaillé, parce que j’aimais pouvoir être indépendante. A 21 ans, j’ai obtenu mon diplôme. Mon père était orphelin de mère et il a vécu pas mal d’années dans la grande maison de la Tante Iride, via Belfiori, où tu as dormi. A sa mort, elle a décidé d’acheter cette maison et de la diviser en quatre appartements. Ma Tante Iride était une femme très forte et vivait seule. Elle avait de nombreuses chambres vacantes. Dans les années 50, elle a loué des chambres à des professeurs de l’université, ou à des étudiantes. Pour que sa maison vide soit toujours pleine de monde. Quand j’étais petite, mon père m’a dit que- plus tard- à mon tour , je deviendrais telle Tante Iride, qui était seule et qui accueillait pour gagner de l’argent les gens qui avaient besoin d’un endroit pour dormir. Tu vois qu’il avait raison.
Ferrare est une belle ville- heureusement plus que d’autres épargnée par le touristes, enfin certains quartiers et pas pendant le festival de musique de rues ! Mais je l’ai quittée sans regrets puis j’ai travaillé dans plusieurs importantes entreprises à Bologne et à Milan.
En 2012, je me suis lassée d’aller au bureau, j’étais fatiguée, impatiente. Je suis alors partie avec l’un de mes amis, et je l’ai aidé à ouvrir un restaurant à Bruxelles. Mais cela a été compliqué, plutôt difficile. Aussi en 2013, je suis revenue à Bologne et j’ai commencé à travailler comme « Chef » dans une auberge du centre-ville.
Tout allait bien, j’étais heureuse, j’avais un petit ami , je venais de trouver mon chat gris ( que tu connais) . Au cours de l’été je suis devenue enceinte, mais j’ai perdu le bébé.
Quelques semaines plus tard, mon père est tombé malade. J’ai tout quitté et pendant trois mois je suis restée à ses côtés à l’hôpital. Il est décédé le 1er novembre 2014. Pour moi, ça a été une période vraiment très très difficile.
Peu de temps après, ma chatte grise a eu six chatons, je n’ai gardé que le roux ( que tu aimais bien), et donné les autres à des amis de Bologne.
Je n’avais pas du tout voulu revenir vivre à Ferrare. Mais maintenant ma mère était seule et je devais aussi m’occuper de la maison de la Via Belfiori, que mon père m’avait laissée. J’ai donc décidé de rentrer chez moi à Ferrare, de quitter Bologne et de mettre les choses d’ici en ordre. Ma mère a 83 ans , elle est forte et conduit toujours la voiture, mais elle vit seule, elle a besoin de beaucoup de compagnie, ce qui fait que je traverse souvent la ville à pied pour la voir. On a cru un moment qu’elle avait peut-être des symptômes d’Alzheimer, mais non. Juste c’est une vieille dame et qui oublie.
Cela ne m’a pas du tout été facile de retourner dans cette ville, tu comprends bien pourquoi, même si tu es tombé comme amoureux d’elle. J’ai pensé que si je ne pouvais plus voyager comme je l’ai beaucoup fait, je pouvais au moins ouvrir un BnB pour continuer à voir des gens qui venaient du monde entier ou presque.
Accueillir, c’est prendre soin des gens, des lieux, des choses. Changer laver le linge, Nettoyage, fuite, réparation, peinture, réparation, gâteaux , courses, réparation…Dans les jours tranquilles, la meilleure chose à faire est de profiter de votre temps libre pour quelques corvées en attendant les prochains clients, et de lire, beaucoup lire. C’est un effort, mais très agréable. Faire ces choses avec amour, voici ma recette secrète de « chef » de mon Bnb, afin que chaque invité se sente comme chez lui un jour de fête. J’ai toujours aimé rendre les gens heureux, leur faire leur plaisir. Parfois, je m’en néglige un peu, mais j’aime m’entourer de sourires contents.
J’aime cuisiner, construire, meubler avec des objets « chinés », modifier le décor, recomposer un peu l’intérieur. Donc ici, Via Belfiore, j’ai crée mon propre petit univers dans lequel j’accueille pour le plaisir les clients venus de loin( ou pas si loin, comme toi) et j’écoute les histoires de vies lointaines »
15 juin 2020 Lui : Silvia, comme vous, en France nous retrouvons enfin la jouissance de l’espace ( un peu) et le pouvoir de choisir ( un peu), mais toujours impossible d’aller à FERRARE voir la ville et sa Silvia, deux perpétuelles inconnues. Maintenant, je vais commencer la partie de mon « blog » qui se passe à FERRARE (enfin arrivant à FERRARE par Modène et Mantoue, qui sont en rapport avec la famille d’Este, Bassani, la communauté juive). Puisque toi et ton jardin allez tenir une place importante, je voudrais que tu m’envoies des photos de toi, qui seront de moments joyeux ou attendris de mon blog, des photos dans la ville, dans le jardin, chez toi, spontanées ou posées. Tu veux bien ?
Si oui : champagne !(…)
17 juin 2020 Elle : Ciao Didi, il tuo mesaggio mi ha comosso, bello saper che sei li e mi pensi…Anche io ho bevotu un calice di champagne pensando a te, felice che tutto stia passando(…)He avuto momenti difficili e tanti pensieri. Sei nel mio cuore, il tuo soggiorno non lo dimentichero mai e mi spiace solo que non ci siamo parlati come avremmo voluto. Ti ho scritto une mail raccontando di me(…)Mi piace saper che parlerai di me nel tuo blog. Mi fa sentire viva. Ci, ritroveremo, ne sono certa. Ti abbaccio. Silvia di Ferrara.
5 juillet 2020 Lui : D’abord, chère Silvia, je suis très content que tu aies pu échapper à ce virus, et je suis aussi très triste des moments si difficiles que tu as dû vivre, c’est vrai que le jardin rose ( de tes appartements je n’ai connu que celui-là) t’occupait beaucoup mais donnait aussi la joie de belles rencontres ( comme la nôtre!). Je voudrais te dire que je te suis très reconnaissant de ta fidélité lointaine pour le « vieux Français » que je suis, et aussi de cette série de photos, qui disent beaucoup de toi, de différentes façons, merci, merci. J’ai compris : le jardin rose, à Ferrare ne sera plus qu’un souvenir, mais bien entendu avoir trouvé des locataires « à l’année » au lieu de touristes Bnb pour tes lieux permet au moins d’éviter le désastre économique. J’aimerai ( j’espère que Google Trad fait la différence entre futur et conditionnel français…) j’aimerai cependant revenir à FERRARE, pour la ville et pour te voir. Je me dis que la ville, fatiguée, doit être jolie en cette saison sans presque personne ?(…)
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Didier Jouault pour : Ydit-suit Le Jardin de Giorgio Bassani, épisode 96/99. Après la fin du récit, EPILOGUE/1 : Silvia de loin, première partie. A suivre, ça sent la fin.