« YDIT-blog », Nouvelle saison, saison IV, Episode VINGT-NEUF : Temple, île, sous-sol. C’est le 18 mars 1314.

Quartier du Temple, et en plein milieu de l’enclos, comme une raie entre deux globes, la rue Dupetit-Thouars : Marcel Malbée, dit MM, dit Le parrain. Rien que cela. Tout cela. Ah, dirait le Prieur, à genoux, on ne fait pas dans la demi-mesure ? Il faut donc se souvenir et punir ? Surveiller et courir ? Jouir et pâlir ? Marcher sans sortir ?

Lorsque le garçon montait dans le métro Porte des Lilas, ligne 11, pour aller 12, rue Dupetit-Thouars, ligne 3 , changement à République, son sac en plastique épais à la main, pyjama, brosse à dents, selon qu’il s’agissait du début ou de la fin de cette chose là chez Marcel Malbée dit Le Parrain, il lisait Mickey Magazine ou les aventures de l’Ombre Jaune.
Parfois il avait le temps, alors que Marcel Malbée organisait son Tiercé journal en mains, après le café au lait, dans un recoin du lit-cosy où Le Parrain le couchait, pyjama remis en place, il arrivait qu’YDIT ouvre un volume d’une série populaire : les mystères de l’histoire.

Entre autres, Les TEMPLIERS.
On racontait leur aventure, leur puissance, et la punition. Ce qu’ils avaient commis, la mémoire s’en est oubliée, fragmentaire et imposible à saisir autrement que dans l’imprécision de l’imprécation, c’est ce que disait le livre. Qu’on ne pouvait oublier mais qu’on ne savait plus en détail qu’oublier.

Une épaisse revue, à plat dans le cosy, s’ouvrait aussi pour YDIT. – et seulement cela, car Marcel Malbée, MM, dit Le Parrain n’avait jamais soustrait de leur cachette les minables revues artistiques, photos noir et blanc, chair et poils qu’il achetait au garçon dans le sous-sol du  » Café du Commerce et du Lycée »-

« Pour leurs chateaux-forts sur la route de la Terre Sainte, immenses et imprenables forteresses encore visibles, les ChevaliersTempliers choisirent pour architectes et tailleurs de pierre des hommes du Moyen-Orient, connaisseurs des secrets des bâtisseurs, depuis l’Egypte et Babylone. Leurs commandeurs et Grands Maîtres furent alors instruits des nombres et des mesures qui font tenir la muraille, mais aussi le courage et la vertu des hommes. Initiés aux savoirs immatériels-les nombres- transformés en matière- le donjon, ils purent exercer une maîtrise spitituelle sur les Grands et davantage encore les gens des campagnes. Comme ils recevaient aussi, en Occident, de nombeux dons et legs, et percevaient l’impôt ou les dividendes pour leur puissante réseau de Commanderies, les Chevaliers du Temple devinrent l’une des premières puissances, matérielle et spirituelle. Tous n’étaient pas admis en l’Ordre, et tous les admis ne recevaient pas le secret de l‘ultime initiation : l’échange sacré entre les Frères, embrassades et prières, sang et serments. »

Peut-être Marcel Malbée, dit MM, Die Pate avait-il fini son Tiercé, peut-être fallait-il aller jusqu’à la petite station  » TEMPLE », ligne 3, et changer à République pour retrouver le glacial du familial. On ne sait. On ne se souvient. On ne peut pas se souvenir, on se souvient d’avoir lu ça. Mais il fallut prendre les Templiers par la fin. Leur immense puissance soudain rompue dans l’arrestation qu’on fait d’eux tous, un matin, dans le royaume tout entier, au motif de leurs noirceurs cachées, de leurs turpitudes secrêtes. Mais il n’était pas difficile, même il y a soixante ans et plus, de comprendre tout ce que cette fin disait de l’avenir, et de la mémoire.

« On peut entendre sept coups de gong, très forts et très lents.

Nous sommes en l’an 1312. Le roi Philippe le Bel a emprisonné les Chevaliers du Temple ( la voix du récitant prononce-t-elle Du Temple, ou du Temps ?) sur la base de fausses accusations. Le Pape Clément a dissout l’odre des Templiers. Les chevaliers sont torturés et exécutés. On les brûle, on les pend. Le Grand maître de l’Ordre, Jacques de MOLAY, monte sur le bûcher. C’est le 18 mars 1314, à la pointe de l’ile de la Cité. Les flammes entourent l’homme. En mourant, Jacques de Molay s’écrie :

Pape Clément, Roi Philippe! Je vous ajourne tous les deux à comparaître bientôt devant le tribunal céleste, Maudits, maudits, tous maudits jusqu’à la fin des générations !« 

Plus tard, Septante et davantage étant venus, la prophétie perd son vif.

Mais pendu par les pieds ou brûlé du dedans, quelqu’un ici, ce soir devant la porte,

12 rue Dupetit-Thouars, ou dans le cadre de la fenêtre au matin, quelqu’un regrette en sourdine que ces puissants là, deux Parrains, chacun le sien, chacun des gestes, chacun sa chair, les Parrains de YDIT-Récit et Hanged James, chacun le sien, restent à jamais dans le silence de l’absence et dans l’injustice fondamentale, inexpliquée : la corde de l’un, le rire de l’autre.

Il y a des morts qu’on aimerait retuer soi-même, après qu’ils auraient parlé.

__________________________________________________________________________________________________________Didier JOUAULT pour : « YDIT-blog », Nouvelle saison, saison IV, Episode VINGT-NEUF  »C’est le 18 mars 1314. » ( on aurait bien aimé le publier le 18 mars, mais tout de même. Donc, non. Et le 18 mars, pas de publication, repos. Episode suivant : le 3 avril. Bien sûr. Mercredi. On vous attend.

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YDIT-BLOG, Nouvelle Saison, Saison 4, Episode VINGT-HUIT Travailler du ciboulot : un pas, impasse, de côté : « Coupez ! »

Note de Madame Frédérique :

Annie Ernaux, avoue ( revendique ?) une évidence de ce genre, citée approximativement (mais dans ce roman-images de ’YDIT’, tout est approximatif, on doit s’y faire, puisque ceci est le modeste ouvrage d’un tailleur de fiction, sur mesure) : ERNAUX : pas de journée qu’on puisse considérée finie sans avoir pris le temps de l’écrire.

A une autre époque, Bénamou disait à une belle qui se jetait un peu vite dans ses musculeux bras d’écrivain :  » Et si on passait tout de suite au Récit?« 

Il faudrait, pour la « Lettre de A. Version B » se dévoilant ici, peu à peu, se dévoiler est le mot, peu à peu, ici bas, ici là…

effeuillage de fond de bar la nuit à Sancerre, des touristes éméchés, Russes ? Libanais ? ont terminé le tour des caves et glissent des billets de mille dans le haut d’un slip échancré, évidemment coupable slip, car tout slip échancré porte en lui l’abandon de la rédemption, serait-il de dentelles noires couvrant le noir d’un poil et du mâle – ici l’étoffe rare bombe sous la forme nette de l’effeuilleur, mâle, toute forme dite derrière une dentelle marque l’abandon de la protection d’un texte, tissu, feuillu, pileux, frileux, effeuillage au rythme de Chostakovitch symphonie numéro 5, la serveuse qui a dépassé Septante et plus peine à servir les verres de gin pur et les sandwiches au Lièvre de Patagonie, à présent il est nuit pleine, l’écrit grapille, gaspille, gambade depuis des heures, on devrait, il faudrait, ce serait mieux de ou on aimerait mieux pas ?…(on a perdu la référence du texte).

S’en tenir à reproduire telles quelles ces milliers de pages d’agendas « Direction », conservées dans une cave. Horaires quotidiens et contraintes professionnelles se confusionnent avec de brèves images, visages, ravages, virages, rivages, tatouages internes du cerveau, moments de lumière, contorsions du présent pour se croire continu ( illusion d’adolescent : ensuite on s’apprend trop pluriel pour être continu).

Ainsi, sur les six-septièmes des double-pages d’agenda professionnel, à deux lignes près, le rendez-vous difficile mais courtois avec une délégation syndicale, et les traces pénombreuses comme un après-midi de remords après un déjeuner d’ami raté, ou comme la mémoire vive d’une jouissance partagée, c’est selon : billets à souche (à l’ancienne) d’un concert de jazz de Manu Dibango à Frenay-sur-Sarthe, parce que le saxophoniste, enfant abandonné, fut interne au collège du coin,

et qu’on est pour un temps le Directeur du vent dans ce département.
Et nous , avec E.( Chez Rolin aussi, on s’en tient à l’initiale ), nous sommes ici. Il  fait un peu frais, en ce soir de mai, j’ai mis un gros pull vieux rose sur les épaules, nous faisons la queue. Trois jeunes femmes, un peu plus loin, me montrent, s’interrogeant discrètement, puis tournent la tête : oui, c’est lui le « directeur », on le reconnait, on est venues en manif contre les fermetures de postes, le mois dernier, sous son bureau bien défendu, mais il nous a reçus, on était nombreux, il nous a écoutés, mais c’est tout de même le directeur, même s’il est probablement de gauche,  ça veut rien dire pour les directeurs, à gauche ou pas un directeur ça dirige, donc un peu tout de même un sale type, c’est lui qui ferme les postes, donc un sale type, ça existe les sales types de gauche,

donc un sale type qui aurait pu faire un autre métier. Peintre, ou écrivain, par exemple.

Ou encore mieux : cuisinier pour trains de nuit Venise-Paris ? Ou même danseur à la barre fixe dans un cabaret de Sancerre, slip de dentelle noire fermé par une cordelette, ouvrier dans l’usine de pyjamas d’Ecomoy. Au lieu de venir écouter sous nos yeux des concerts de jazz en mémoire d’un Noir de la DAS… Sale type.

Directeur du vent.

Concert, délégation, jazz, manifestation, pull vieux rose, décision, paroles entendues, oubliées, revenues : sitôt que s’ouvre la piste d’une mémoire, surgissent les branches sur la route, poussées par la tempête que soufflent d’anciens échecs. Mais aussi, aussi, les sentiers de traverse, d’autres chemins d’évitement, espaces de fuite communes et d’échappées solitaires : passé un certain âge, et voici que Septante et davantage sont venus, la vie est une succession de labyrinthes dont tout prouve qu’on a réussi à en sortir, des uns après les autres.

En rigolant. Avec cette définitive légéreté qu’on fait mine parfois de vous reprocher autour de la table, et qui dénote la certitude absolue de votre propre finitude, sans rémission, sans concession…

Même des fracas sans traces, des âmes sans débat, ce métier un peu stupide pendant vingt ans, Directeur du vent, audiences, décomptes, réunions au ministère, ou chez le préfet, ou avec  les parents, les coups de vent, les syndicats, les petits pas, les élus, le venus, les venants, les partants, les tenants, les tenues, les aboutissants, les tenus, les relus, les courriers, les fourriers, les comptages, les partages, fatras, vides, nouvelle politique de ceci, cavalcade politique de cela, pleins, riens, canevas sans aiguille, vacuité, comités paritaires, calamités partenaires,

plénitude,

visites, tapisserie sans trame, nouvelle politique de cela, félicitations et reproches, projets et rejets, comptages et contages, et pourtant toujours le même bavardage bravache sur le vent, nouvelle politique de rien du tout, soirée théâtre des lycéens, décomptes, courriers, chorale des personnels, festival des lycéens, grève au collège, dîner chez le préfet.

Pas pire que ça.

Pas mieux que ça.

Septante et davantage étant venus : jolies occupations de la vie, comme un Monopoly le dimanche après midi ( sauf qu’on n’est pas assis sur les genoux de Marcel Malbée dit MM, dit Le Parrain, qui a posé sa main sur la cuisse, en limite même de la culotte courte des gamins de 1960), on est juste là, parfois, pour attendre que ça se casse.

Et donc ça remplit ainsi à la perfection le vide crée par le vol de cordelette commis avec effraction par le Parrain, sur le corps d’un pyjama. De l’ouverture d’un pyjama comme de l’ouverture de l’enveloppe contenant les sujets du concours, les résultats du vote, l’appel à mobilisation.

Mais non : jeune garçon : du vent, devant. Tout ça : on coupe à l’intérieur de sa propre émotion tout lien avec le réel, la cordelette, plus de Devant, plus de Main mobile, plus de Chair à câlins, ça frôle, ça touche, ça coule, et alors : du vent devant.

Ensuite, dans la vie du réel, difficile de recoller les morceaux de la cordelette, ce qui est coupé risque de rester séparé. Voila le reproche véritable fait à Marcel Malbée, dit MM, dit Le Parrain : pas ses doigts trop serrés ici-bas, non, ça on fait avec, pas ses lèvres top mouillées par ci par là, non, ça finit en jouissance, pas ses yeux trop déviés, non, le garçon regarde ailleurs, les vieux livres sur l’Ordre du Temple dans le Cosy : mais ceci, marque définitive de l’abus : l’apprentissage de la coupure intérieure, impardonnable.

En réalité, davantage que tout ces bla-bla et publics, j’aurais bien aimé avoir une body-guard. Elle m’aurait surveillé dans la piscine municipale avec espace santé ( jacuzzi, hammam, sauna, très propres et publics, enfants inclus) installée en lisière de ville ( on voit les champs, la forêt derrière la fenêtre du sauna, au-delà du maillot de bain une pièce de la maitresse de nage en nage) , ici pour cette fois je ne me baigne pas nu, et dans les bois où je cours le footing, aussi la body-guard (elle me suit avec des barres protéinées afin de m’épargner la honte). Mais non, à la place, blas-blas, publics, textes écrits ou lus : arpenteur du vent.

Directeur de rien. Tout ce temps. Et maintenant Septante et plus étant venus. Oublier tout ça, sans intérêt. Marcher, conter.

Cordelette pour Paulette

Corde à nœuds pour Neuneu.

Cordelette d’escampette

Corde à nœuds pour nous deux.

Cordelette c’est pas net

Corde à nœuds d’amoureux.

Pyjama pourquoi pas

Y va, y va pas ?

Pas dit  » NON « , n’est-ce-pas ?

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Didier JOUAULT, pour YDIT-BLOG, Nouvelle Saison, Saison 4, Episode VINGT-HUIT Travailler du ciboulot : un pas, impasse, de côté : « Coupez ! ». A SUIVRE, mais on a désormais l’habitude, avec le surgissement- et vous l’avez vue venir- d’une personnage : TYNE. TROIS épisodes, de vingt-sept à vingt neuf : ça commence à faire son chemin, le roman-images, non ? juste après les congés « Zone C ». Les mercredis. Dans l’après-midi. Top. Hop. GO.

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YDIT-BLOG, Nouvelle saison, Saison 4, Episode VINGT-SEPT : LES ENQUETES de BOB et MORANE, Le sous-sol de la rue Turbigo, FIN – Les refuges rigoureux de la mémoire.

A l’instant même  YDIT sortait  du café que BOB et MORANE venaient de repérer, non seulement parce que le garçon y servait un petit coteau d’Auvergne de très bonne qualité, mais aussi parce que dans le sous-sol de ce jour comme jadis dans ce sous-sol même, des lycéens se retrouvaient.

 BOB et MORANE : comme il convient à présent, une fois de plus, les genres sont incertains, au moins pour MORANE- car un certain MORAN , qu’on dit né près de Rennes aux alentours de 650, a été porté, dans la même ville, à la cathèdre d’évêque, en 710, vieux déjà donc en son temps, avant de – sagement, prétend-on -, se retirer dans un monastère italien, ou grec, ou mauresque, voire turc : un monastère ensoleillé, où ne jouaient pas déjà des pianistes grecs, dans le scriptorium désert de l’après-déjeuner, sur un Steinway très accordé au décor. Cela, on racontera bientôt : Sylvanès l’abbaye.

Ce que disait le narrateur convenait à l’état d’esprit des enquêteurs choisis par Fred, la malicieuse, BOB et MORANE. Et donc voici.

YDIT  :  » J’étais lycéen, et nous passions beaucoup de temps à jouer au poker dans le sous -sol du « Café du lycée et du marché », avec des allumettes. Nous perdions au plus le café du jour, et Gilbert, le garçon visiblement aimant les garçons  (ce qui se  cachait davantage à l’époque ! ), nous apportait des consommations gratuites, sans jamais rien demander à nos mains plus habiles à la carte qu’à la caresse – encore que, en cet âge de leur vie et cette saison de l’Histoire, les jeunes garçons des lycées non-mixtes manipulaient mieux et allègrement leur propre sexe qu’ils l’auraient (et le faisaient pour certains d’entre eux- impudiques ou vantards ?) fait avec l’intimité complexe et pliée d’une fille.

-« Quelle Phrase », dit BOB…

Au sous-sol, plutôt sec et clair du « Café du Lycée et du Marché », séchant des cours donnés sans plaisir et reçus sans avidité ni tendresse, ils passaient des heures, assis comme des buveurs de Cézanne ou des maquignons de Balzac. On y a croisé  quelques exemplaires de touristes curieux, Lonely Planet en main ( « un endroit très typique du Paris étudiant et populaire ») parfois même de vieillots lettrés, aristocrates éberlués ou montagnards Hébertistes, à la recherche d’ultimes traces de l’ancien « Enclos du Temple »- ce vaste domaine entouré de murailles que posséda longtemps l’ordre guerrier des moines du «  Temple ». 

( Si le récit nous prête vie, on racontera cela de ceux-là, dans quinze épisodes).

La famille du roi L XVI y fut enfermée dans le donjon subsistant, à la Révolution, et on regrette la destruction d’un édifice construit d’ors arabes, de pierres de Lozère, de sueurs paysannes, et des peurs et prières de 21 Grands Commandeurs successifs ( pour la moitié morts au combat ). C’est tout un quartier de Paris, les rues portent la trace de l’occupation par le Temple, plusieurs  fois  cent ans plus tard. Mais aussi rue Dupetit-Thouars, en plein centre de l’ex-enclos. MM dit Le Parrain, ici. Aussi, dans le sous -sol du café, le plus proche du «  cœur » du temple, son donjon disparu, il arriva que l’un d’entre nous croisât un chercheur- évidemment pas un universitaire véritable ( ceux-là fréquentent les bibliothèques )- mais l’un de ces illuminés tardifs perdus dans une quête inutile des « Ombres et fantômes » du Temple.

Un fois, l’un d’entre eux ( on s’en souvenait car ils étaient rares) avait tenté de soudoyer Gilbert, le garçon de café, afin qu’on lui laissât  visiter la cave du bistrot, à vrai dire deux longs boyaux superposés reliés par un étroit escalier en hélice, dont les marches usées attestaient l’ancienneté, sinon le respect de la stricte observance templière.

Gilbert, que tout incitait à nous dévoiler ses côtés obscurs – et qui n’eut cependant jamais aucun geste dit douteux- avait déjà conduit la visite des lieux profonds  pour trois ou quatre d’entre nous. D’ailleurs Philippe et Jean-Pierre, mi rigolards (mais seulement à moitié donc), avaient affirmé que si Gilbert en profitait pour leur demander une petite gâterie, pourquoi pas, en échange de bonnes bouteilles rangées au premier sous-sol.  

On avait vu pire.

Mais qu’en fût il ?

Avec les garçons, jamais on ne sait.

Philippe abattait son brelan de valets. En réalité, Philippe et Jean-Pierre, ils en parlaient à mots à peine couverts, et ils avaient suggéré un autre usage de ce temps intime, passaient de très secrets et très fructueux après-midi au dancing de «  La Coupole », à l’époque célèbre ( auprès de quelques usagères initiées) pour les rencontres dansantes et plus si affinités entre dames mûres et garçons verts. Tout ça manquait déjà vraisemblablement de Vertu. Sinon de Revenus.

YDIT poursuit, avec son idée fixe ( qui est : MM dit Le Parrain, et aussi pourquoi James devint HANGED, et Ydit Septante et plus ) et son propre récit :

Cette pratique ne paraissait choquer personne parmi les joueurs de poker en sous-sol, sauf à penser (ce qui serait juste) que les élèves ici réunis appartenaient au groupe des indociles, aussi  lecteurs  de Rimbaud ( «  La morale est la faiblesse de la cervelle ») et de Radiguet ( deux lectures qui ne leur paraissaient pas antinomiques, preuve d’une vaste inculture), marchant dans les marges sans volonté de le faire, par nature, ni par révolte ni par audace, mais parce que chacun, à sa façon ( ils n’en parlaient que très rarement) avait été conduit – par un adulte à grandes mains ou le hasard aux dents longues – à transgresser une première fois une règle sociale majoritaire.

Le Silence. Le Déni. Oublié le MM dit Le Parrain! Le TU fais, tu TAIS.

Pour Ydit,  la traversée immense et durable avait pris le visage, la voix, les mains nettes et le corps vouté de Marcel Malbée dit M.M. dit Le Parrain. Mais tout cela ne vivait plus dans aucune des mémoires accessibles. On avait jeté la disquette. On ne savaiT plus se servir des disquettes. On ignoraIt qu’il y avait eu des disquettes, jadis.

Or, le, LUI / LE voici soudain qui descend l’escalier conduisant de la salle du café au sous-sol où ils jouent, LUI c’est Marcel Malbée, dit Le Parrain. Oui. Intuita personnae. On n’invente pas cela. Die Pate. Même s’il y a de cela cinquante ans. On avait oublié qu’il habitait tout près, rue Dupetit-Thouars. On avait oublié le petit appartement suave, entrée couverte d’un rideau sombre, mauvaise reproduction de Donatello sur la commode. Rue Dupetit-Thouars, les rares nuits avec pyjama trop chaud sous les draps et croissants le matin.

Les  lycéens – forment  autour de deux tables un groupe fumeur, bruyant, brusquement silencieux quand les cartes l’exigent, mais bavard et rieur. Ydit  tourne le dos à la porte des toilettes que rejoint MM dit Le Parrain, mais en une seconde, dans le miroir cloué à droite, il aperçoit la silhouette, immanquablement présente pour toujours dans sa mémoire la plus profonde, même ensevelie sous les gravats de vraie vie.  L’inverse de la statue du Commandeur : la statue/le statut du narrateur oblique.

MM dit Le Parrain fait attention aux marches, quel peut-être devenu son age, cinquante ans, soixante? (BOB et MORANE finiront par le savoir, n’en doutons pas ), la vue a faibli, l’escalier est rude et privé de rampe. Bien entendu Marcel Malbée, dit MM, Die Pate jette un coup d’œil sur les vieux adolescents ( à l’époque, à 17 ans, on est un vieil adolescent ) groupés là, trop nombreux. D’ailleurs  Marcel Malbée dit Le Parrain semble pressé de pisser, ou fatigué, ou on ne sait quoi. En descendant, il a rangé dans la pochette de la veste plusieurs tickets de Tiercé, un geste qui a aussi éparpillé son attention, de sorte qu’il ne voit pas qu’YDIT est là, en jean’s ajusté, le YDIT du deux pièces-cuisine-salle d’eau avec eau chaude et toilettes à l’intérieur, « Tu n’as pas trop chaud avec ton pyjama ? »

David dans l’entrée, assis avec des cartes, fermeture éclair vite-fait, chemise bleue rayée de blanc, le YDIT des pyjamas trop chauds, un peu genre veste de pyjama, justement la chemise. Mais oublions cela, le pyjama.

Posant le pied sur la première marche, concluant avec le garçon Gilbert une conversation de comptoir, tête encore tournée vers la salle en  haut, Marcel Malbée disait : «  La vie, c’est comme le café, pour que ça passe, faut s’en occuper ».

Aucun des joueurs de poker n’entend, ou n’écoute cette phrase de bar, ou de bordel, ou de confessionnal, ou d’amphi de philo avec Jankélévitch aux commandes :

«  La vie, c’est comme le café, pour que ça passe faut s’en occuper ».

Ydit, lui, rentre les épaules encore plus que si le surveillant général  venait d’apparaître (au lycée, c’est – à, l’époque- un  ex sous-officier Vietnamien rapatrié avec la fin des Indochines).

Ou comme si le corps entier de la Mémoire s’imposait en lui d’un coup unique et violent.

Ce genre de phrase, irritante et terrifiante, en même temps. Comment peut-on être si vulgaire et toutefois si véritable ? (l’inverse aussi). Dans un roman, le narrateur avouerait avoir perçu comme un éclair, une douleur, quelque chose  de violent, de nouveau. Rien de tel en cet instant, pour le joueur de poker nommé YDIT : c’est tout juste la raison pour laquelle Marcel Malbée  dit Le Parrain ne peut recevoir que de la haine : à cause de lui, ce qu’il fut et fit, à jamais YDIT est privé  d’une part de ses propres émotions, à jamais coupé à l’intérieur, coupé de son propre intérieur, souvent, protégé contre lui-même et le risque de la présence.

Mais c’est une autre histoire?..

…A moins que ce ne soit celle d’écrire ?

Marcel Malbée, MM dit Le Parrain entre dans les toilettes ( étroites, pas très soignées), Ydit s’excuse, doit partir, interrompre sa partie, se dépêcher de sortir du «  Café du Lycée et du Marché ». C’est la dernière fois qu’il aperçoit Marcel Malbée dit Le Parrain. Mais ça n’empêche pas l’imagination de le retrouver. Pour l’éparpouiller. Le discgracecraquer.

Et ça passe comme un éclair de soleil sur le corps mobile d’une femme au bord d’une rivière tendre,  Geneviève en été, d’autres en kayak nu en Ardèche, Tyne si belle sur les rives d’Andalousie, Fred agrippée à une couchette Venise-Paris (à chaque lieu où se trouvait Fred, c’était la lumière, on racontera cela),

ça passe aussitôt ce jour-là,  l’ombre de Marcel Malbée immédiatement est effacée par les refus rigoureux de la mémoire, rien à faire, rien à dire, revenant à la lumière et marchant rue Turbigo, vers le lycée, ce jour-là, Ydit ne sent pas la violence de la haine pas plus que la lourdeur de l’oubli. Trop tôt encore ? …

C’est plus de cinquante ans après, parce que la parole de toutes et tous envahit l’espace secret du silence jusque-là préservé, parce que Septante et davantage étant venus, c’est alors qu’il formule sa conviction à la fois exigeante et simpliste : maintenant, il lui va falloir retrouver Marcel Malbée dit MM Die Pate, l’épuiser, l’étouffer, l’écraser, le faire disparaître. Pas l’enterrer comme une vie de garçon, pas l’emmurer comme un chat noir d’auteur américain. Non. Faire disparaître. Et même ( pardon pour l’horreur de l’image ) l’encendrer comme une victime d’un camp.

Mais ça va prendre du temps : la vie est un long détour par des labyrinthes où ne règne plus personne. En plus, le Minotaure a pris la fuite, encore une fois. Jamais au bon endroit, celui-là.

Pourra-t-on jamais vraiment compter sur l’efficience de BOB et MORANE, engagés par la malicieuse et pragmatique FRED ? Mais alors, sinon, quoi ?

Cette question : Ydit croit entendre la voix impossible de HANGED JAMES, pendu qui flotte un peu au bout de sa branche, qui flotte dans l’air froid du matin comme dans un  trop grand pyjama bleu et blanc, même si le corps est nu dans l’encadré de la fenêtre, un nu sans ailes ni carquois, un nu sans main voilant le sexe, un nu dressé dans l’évidence de son définitif silence, et toutefois,

la   tête à hauteur de corde, HANGED JAMES, amical et narquois, bien que bien mort, tué par lui-même d’un coup de corde sans appel, demande :

Alors quoi, mec, il t’a fallu tout ce temps à toi-même

pour t’alerter sur toi-même ?

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Didier JOUAULT, pour YDIT-BLOG, Nouvelle saison, Saison 4, épisode VINGT-SEPT : LES ENQUETES de BOB et MORANE, Le sous-sol de la rue Turbigo, FIN – Les refuges rigoureux de la mémoire.

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La vie est un long détour par des labyrinthes que le Minotaure a désertés depuis longtemps.

NOTE de MADAME FREDERIQUE :

A mes (sans doute déjà trop nombreuses) remarques d’ex-assistante alourdie par le poids du paquet dit « Lettre de A, version B. », j’ajouterai ceci que les variations de ton observées d’une page à l’autre me laissent aussi perplexe qu’incapable d’en fournir une explication.

TEXTE Lettre de A. Version B

On s’en souvient, dans l’une des discussions précédentes, FRED et YDIT s’interrogeaient mutuellement quant à l’opportunité d’ajouter à la recherche de Y.d’I. l’aide que pourrait apporter un duo de reporters, de spécialistes, d’experts de la filature, de savants de la reconstitution biographique, de la recherche généalogique ou, mieux encore, des familiers ( si jamais on peut l’être!! ) de l’exploration raisonnée des labyrinthes si intimes à l’intérieur desquels le nommé YDIT-personnage de roman-, soutenu de sa complice FRED- représentation de la mémoire- parcourent des chemins, non pas pour tuer le Minotaure, mais pour se débarrasser de l’idée même du Minotaure, ce qui est une rude ambition. Avouons-le.

On avait donc envisagé d’engager sur contrat, du reste vraiment très bien payé, deux héros fatigués quoi qu’encore actifs, des anciens frères toujours complices, quasi personnages de romans de gare sans égards : BOB et aussi MORANE. Cachés à l’abri de l’Ombre Jaune, ils avaient jadis  accompagné longuement les séances de siestes solitaires et de lecture, dans les premiers temps de Ydit. On aurait pu, il est vrai, les nommer Gog et Magog, ou Sodome et Gomorrhe, ou Marcel et Albertine. Mais pour BOB et MORANE, le Vieux Samuel avait souri de consentement. Un grand éclat de rire à sa façon.

Peut-être à dessein, dans l’espoir avoué de perdre la narration à force de l’enrichir, Fred avait arrêté son choix, à la suite de nombreuses speed-dating qu’on racontera peut-être un jour ici, et leur avait signé un contrat de collaborateurs occasionnels intermittents, au  principal motif que- certes- ils boivent souvent des coups (avec une préférence marquée pour les  Pinot noirs de Bourgogne et les Gamay du Beaujolais), mais que surtout ils ont pris entre autres dans le quartier du Temple l’habitude de la Beu, celle qui s’alimente et s’approvisionne au coin de la rue, à la sortie de n’importe quel lycée, à l’entrée de presque n’importe quel marché, mais surtout pas la Beu pour mauviettes bradée sous forme liquide dans les boutiques de CDD, CBD, BDC, ABCD, CDB…FRED -ne savait plus très bien comment on dit. Mais BOB et MORANE, dont certain aurait pu naître en R.D.A. conservaient l’héritage de la technique.

Plutôt Léo Malet que Céline : mélange délicat d’irrespect et de gros rouge, de petit Bleu et d’ironie. On ne les verra pas si souvent dans le développement du récit d’ici suivi, sauf comme des apparitions de Lénine sur un piano daliesque. Assez génialement grimés en détectives de roman….

Voici la preuve qu’ils accomplissent avec toute la discrétion nécessaire le principal de leur activité : creuser, fouiller, ne pas se lasser, recommencer, creuser, fouiller, mettre à jour quelques témoignages archéologiques d’une mémoire ruinée, ou plutôt simplement quelques témoins d’une scène tombée dans l’ombre. Marcel Malbée, dit MM, Die Pate, un souvenir ? Une piste? Une trace? Une fumée à la lisière de la ville? On aimerait tant LE, LUI, le voir de face.

En cet instant, BOB et MORANE sont dans le coeur de l’expectative : bel endroit pour le silence, et pourtant.

«  Si on regardait plutôt un peu mieux par la fenêtre ? » dit BOB, toujours le premier en expression.

«  Mais les passants passent sans cesse » répond MORANE« on a du mal à fixer l’objectif ».

«  Ma poule, on descendrait pas plutôt à la cafet?  demande BOB : ils ont des cappuccinos moins chers et on espionne mieux les marcheurs ».

Pour des raisons qui seront peut-être rapportés au cours d’un fragment ultérieur de récit (mais à cette date, la réserve de mots s’épuise, le seuil de 50 000 approche, va-t-on avoir le temps de tous ces récits ? Prévus, nécessaires et inutiles cependant ?), ces deux-là-les héros fatigués de la quête-se sont mis en tête, après avoir longuement écouté FRED, que la fréquentation des marcheuses dans les quartiers du centre de Paris-pas seulement dans le quartier du Temple où vivait Marcel Malbée dit PATE- pouvait  apporter sur les mouvements du monde et les évolutions de la conscience humaine des renseignements de première main. Illusion. Cela permettrait de récupérer les traces de ce qu’il resterait, s’il en restait jamais quelque chose, de Marcel Malbée,dit M.M., dit Le Parrain. Force est de constater qu’une telle ambition n’avait pas grand prise sur la réalité, raison pour laquelle sans doute l’immeuble mais incertain duo ne recevait encore pour l’instant et pour émoluments que de maigres fifrelins.

Fred, qui les avait recrutés et paisiblement initiés à divers aspects de leurs fonctions, avec son pragmatisme malicieux, et son désir d’écouter mêlé au plaisir d’interrompre, Fred leur avait confié une tâche simple et une mission claire, mais c’était encore un peu compliqué pour eux.

 A vrai dire, aider YDIT à retrouver le parrain, à l’empapouiller, à l’emcrabouillasser, le papardeliser, le mainsdanslecambousiser, le papouillertaler, le faire mardouiller, l’enraciner, le démembrer, le castagnietiser, le choucrouter -etc !…voilà une feuille de route qui les déroutait, car on ne sait jamais très bien par quel bout prendre un mort, un fantôme, une idée, un fantasme ( tout à fait comme on ne sait pas très bien par quel bout prendre un commencement, mais cette métaphysique interrogation leur échappait aussi, on le devine).

Les premiers résultats de l’enquête ( Cécile, elle, l’êut confiée à Fantomas) sont peu probants. Les Détectives calamiteux ont arpenté  au centre de Paris le quartier du Temple, les abords de ce lycée d’où, quelques années après la disparition volontaire de Marcel Malbée dit Le Parrain, on avait aperçu la forme pâle de celui-ci entrer dans un PMU. A l’instant même où YDIT sortait  du café que BOB et MORANE venaient de repérer, non seulement parce que le garçon y servait un petit coteau d’Auvergne  de très bonne qualité, mais aussi parce que dans le sous-sol comme jadis des lycéens se retrouvaient.

Sous-sol de troquet, un espace et  une occasion parfaits pour l’essentiel, se procurer un peu d’herbe à prix coûtant, et l’accessoire : recueillir d’une oreille placide les échos improbables de dialogues anciens, chacun des enquêteurs sachant que, dans La Chasse au Parrain, longtemps les échos raisonnent sur les murs, s’accrochent aux angles comme des toiles d’araignée, s’incrustent dans les plinthes comme des cafards ou des punaises de lit, et que tout ce petit monde peut permettre une Chasse au Parrain sinon agréable (cela ne se peut ) au moins efficace ( car cela se doit).

Espérons !

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Didier JOUAULT, pour YDIT-BLOG, Nouvelle saison, Saison 4, Episode VINGT-SIX , Les ENQUETES de BOB et MORANE, Le sous-sol de la rue Turbigo, DEBUT Donc, à suivre…sous peu et dans la cave? En tout cas suite et fin le mercredi 13 mars .

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