INCIPIT 5 : On aurait pu commencer ainsi : « -…je sais, j’ai compris, je n’aurais pas dû… (David DIOP, » Frères d’âme », (Editions du Seuil 2018)
Mais on a choisi ça :
Note de Mme Frédérique :
Ce feuillet, comme d’autres parfois, laisse à penser- surtout par l’usage des temps-, qu’en matière de rédaction mon ex-directeur, Y.d’I. ne formait pas encore l’image (ou le projet ?) de sa propre disparition, cette « disparition » encore inexpliquée, mais qui le conduisit par anticipation sans doute à regrouper tous les textes ( Tous ? A vrai dire, je n’en sais rien) dans cette épaisse enveloppe et cette clé USB qu’il m’a fait parvenir sous le titre « Lettre de A., Version B » . J’ajoute que les allusions intimes, à chaque fois, produisent en moi une gène certaine, en dépit de ce que lui et moi ensemble avons connu.
Texte de YDIT : « Lettre de A. », version B : PREMIERE FOIS ?
Septante et davantage étant venus, on pourrait se précipiter soudain, exister comme si la hâte était une façon de vivre, se presser de se presser parce qu’on ne le sera bientôt plus. Mais non, non : voici que Septante et davantage étant venus, le temps ne se rétrécit plus à l’attente d’une action proche, espérée ou redoutée. Il se dilate à la dimension infinie, celle de l’absence d’attente.
Sauf exclusivement pour La Chasse au Parrain, à présent. Car voici que si tard- Septante et davantage étant venus- une autre raison de courir est survenue.
Ce qui se passera, pour soi-même désormais (pour l’univers, on ne sait) : heureuses répétitions, plaisants bonheurs, agréables redites, ennuyeuses traverses, détestables faiblesses, l’agréable vie : repas de famille, amitiés autour d’une table, livres découverts, voyages et villages, rivages et visages, maux de corps et d’humeur : les formes et détails changent, mais le fond reste tel qu’en lui-même la répétition le fige. Le floute. Le frippe. Le veloute. Septante et plus étant venus : la vie habillée de velours.
Aussi, on prend son temps de baguenauder dans la mémoire tel un chaland dont le panier déjà serait plein. Ydit ne saurait plus décrire la première image d’un pendu : image d’un pseudo Villon sur la couverture d’un livre de poche ?
Gravure illustrant un édition d’Histoire sur la Guerre de cent ans ? Documentaire ancien sur les conclusions du procès de Nuremberg ? Peut-être même ( hypothèse la pire) le très ancien film de ce Polonais dont le nom échappe, et qui -sous le corps-, montrait ce que l’abdomen expulse de lui-même à cet instant final et sale ?
Pour l’autre personnage mâle central dans son récit (on lira que les femmes y ont la part majeure) , Ydit cherche une Première Fois dont Marcel Malbée, dit M.M., Le Parrain, Die Pate serait l’acteur principal. Et il ne parvient à rien. La mémoire se mord les doigts de ne même pas savoir mentir assez. Cependant- on le sait, des livres le racontent- nous avons tous des forêts d’images des « premières fois », bulles aux couleurs aigues de rouge et de vert sur décor d’ombres pâles. L’image- dit-on – s’impose en flétrissure nécessaire sur la chair molle de la mémoire.
Mais non, pas pour celui-là : Marcel Malbée, dit MM, Le Parrain, Die Pate, semble surgi d’un milieu qui n’aurait pas de début. Nulle « Première Fois ». En tout cas, pour cela qui importe, et qu’il disait en préambule :
« Tu n’as vraiment pas trop chaud, avec ton joli pyjama, YDIT le Didi ? »
En d’autres temps (de vie, de littérature), YDIT aurait ici commencé ce qui a été un sous- genre littéraire : l’affectueuse liste, celle des premières fois, par exemple, d’un livre, ou celle des bouteilles de vin blanc ou des cigarettes consommées/consumées pour écrire ce gros livre sur l’emploi de la vie, ou des poireaux et pommes de terres indispensables à la confection du dîner de Neauphle-le-Château.
Ou encore- la tentation perdure, en forme de tendre mais ironique hommage-, une liste n’indiquant nul message sauf elle -même. Ainsi : au cours du trajet entre Montparnasse et chez lui, toujours, Ydit s’arrête pour explorer les bacs de livres soldés sur le trottoir de ce magasin spécialisé. Sur la table à lire, le dernier volume acheté comme pour rien : « Encore une journée divine ». Personnage qui monologue en courts extraits, séance après séance, répondant aux questions du psychiatre, ainsi devinées en creux (mais jamais formulées, comme si la réponse importait plus que l’interrogation), dans une chambre de clinique. Le narrateur se prétend psychothérapeute lui-même, écrivain, porté par un immense succès, bien que ses livres – essais surtout – soient désormais introuvables, et en particulier le plus célèbre : « Changer le monde ». Avec les histoires d’écrivain, on s’y perd.
Une première étiquette-prix, toute petite, sur la couverture, verte, porte : « 4 euros ». Une seconde, rouge, la recouvre en partie : « 1 euro ».
Marcel Malbée, dit M.M., Le Parrain, Die Pate, qui revient sur scène après une très longue éclipse, on n’a en souvenir de lui que des premières fois de seconde main, étiquette rouge sur étiquette verte : solde de solde d’invendu. Invendable, introuvable en magasin, le souvenir du tout début de Marcel Malbée n’a pas de prix stable-ni connu, d’ailleurs. Se peut-il qu’il soit encore vivant ? Vieux, petite retraite, abandonné, triste, malade : suscitant la compassion des voisins? L’intérêt lointain du Bar-Tabac PMU ? l’assistance d’une aide-sociale? Et cependant, objectif, si on le trouve : l’exterminer, avec précision et lenteur, comme on opère la première fois. Cela est le but. Exterminer ce qu’il reste de Marcel Malbée . BOB et MORANE – Ravageurs Détectives sans age – sont l’arme.
La première fois (on avait dix ans ? douze ans ?) où l’on a pénétré chez lui en poussant le lourd velours qui protégeait l’entrée. Aussitôt, en lumière ( était-ce une ridicule statuette portant un piètre abat-jour ?) : le David de Donatello, sur un gros meuble sombre, une commode où il rangeait entre autres ses pyjamas, ses slips blancs à poche. Bien plus tard, YDIT sut ce que la mauvaise reproduction, en dimensions mesquines, avait à dire d’entrée, ici, dans le petit appartement de célibataire où nulle image féminine n’existait.
Dans un manuel d’art, le critique note au sujet de ce David : « Le jeune homme s’est libéré du poids de l’armure qui l’entravait, et dont il n’a gardé que les jambières.
Sa ‘nudité héroïque’- concept en vogue à l’époque dans les milieux culturels florentins néoplatoniciens – justifiait l’exposition de cette statue dans un lieu public »… Mais au moins, chez Marcel Malbée, dit M.M. dit Le Parrain, – où rien d’héroïque n’existait – jambières ou pas, nudité débarrassée des entraves ( un pyjama taille junior ) il faisait chaud, et les toilettes n’étaient pas sur le palier, comme à l’appartement de la famille elles étaient. Sur le palier, c’est glacé l’hiver. Die Pate, c’était chaud. On n’aurait pas dû s’y intéresser.
La première fois que, on ignore pour quelle célébration ( la communion solennelle sans doute, car c’était Die Pate ), la famille se retrouve avec Marcel Malbée dit M.M. Le Parrain, Die Pate autour d’une table ensoleillée, bistrot de campagne, journée en excursion à Fontainebleau : il y a des fraises chantilly au dessert, pour eux qui manquent d’argent, nous, la famille, c’est un luxe. Même il y a du sucre en poudre vanillé dans un ramequin de métal brillant et propre : on se croirait chez les riches. Le gamin perçoit aussi que la cuisse de Marcel Malbée, contre la sienne, tous deux en short, porte une chaleur insolite.
Mais c’est Le Parrain. Il y a de la crème chantilly, c’est sucre et vanille, une partie de campagne, du Manet en pyjama bleu et jaune rayé, sur la pelouse, du Renoir en excursion de Belle Epoque. Voila, probablement est-ce ainsi que le garçonnet a pensé dans son ignorance primitive le menu évènement : on n’a qu’à dire qu’on est dans une peinture.
La tentation est forte, maintenant, d’initier une liste des » Premières fois ».
Dans le roman « Encore une journée divine », ( une sortie de campagne à Fontainebleau ?), acheté un euro chez BookShop (étiquette seole 1 à 4 euros), aussitôt après les dernières phrases (« Quoi qu’il en soit, j’ai enfin un exemplaire de « Changer le monde », depuis que j’en parle ! Donnez moi une minute et je vous le trouve », p.188 ), et quelques notes de détournement, commence le « catalogue » (en date d’impression : mai 2021) de la collection « NOTAB/LIA », chez Les éditions Noir sur Blanc.
- Dernier voyage à Buenos Aires, Louis-Bernard Robitaille
- Trois cercueils blancs, Antonio Ungar
- Journal d’un recommencement, Sophie Divry
- Lutte des classes, Ascanio Celestini
- …
…Surprenantes coïncidences des titres…
Septante et davantage étant venus – on le disait à Cécile (complice en Jardin de Giorgio Bassini,cf. Saison 2)- , entrer dans le long plaisir d’un livre devient plus rare, car l’exigence a grandi. Aussi, en achetant « Encore une journée divine » ( expression provenue de « Oh les beaux jours » de ce Samuel qui va traverser en filigrane une partie de la « Lettre de A. Version B »), surgit un projet comme on en rêve encore à cet âge ( séduire OUFA de Rabat, Isabelle de Cadet, devenir ami de Michel ou Malik), ces projets n’en sont plus un, ne peuvent plus être des projets, même si toute rencontre hâlée de plaisir est une renonquête sur l’oubli que Septante et davantage sont venus).
Projet, donc : parvenir à réunir l’ensemble des romans de cette collection parus à la date de publication de « Encore une journée divine » ( tout comme Gil avait réussi à retrouver les cent premiers numéros du Livre de Poche, avant de n’en garder que les couvertures). Probablement, un bon nombre n’existe plus ailleurs que dans la Réserve de la Bibliothèque Nationale. Fréquenter la Bibliothèque, ne pas bavarder devant le comptoir d’accueil, ne pas sortir boire un café, ne pas entreprendre un échange vain mais joli avec la conservatrice du rayon Tourisme. Lire les 63 romans ( le 64 ème, c’est tout juste fait : « Encore une journée divine »). Ce seraient autant de « Premières Fois » : YDIT n’ a jamais lu aucun des auteurs du catalogue. Belles découvertes ? Pénibles abandons page 47 ?
Pendant ce temps, sur le balcon du voisin, une adolescente à la Maynet gratte sa guitare bavarde comme pour croire à des histoires de trottoir et d’aurevoirs. On peut en rester là. Tranquille. Guitare. Paisible. Liste de romans à lire. Serein. Rencontres à découvrir mieux. On peut. On pourrait. S’installer dans l’immobile silence de l’attente de rien.
Ingénue façon de se préserver, de ne pas s’y mettre, à l’écriture de
La Chasse au Parrain ?
Septante et davantage étant venus, cette sorte de projets amusants et inutiles – comme d’aller au terme d’une liste pourtant non fermée – marque bien ce qu’il reste à faire, maintenant, c’est-à-dire l’exact contraire : s’occuper de ce creux qui fut creusé jadis par les mots du Parrain. Par ses demandes, ses offrandes, ses voyages et les cordelettes de pyjama. Puis- Tranquille, Paisible, Serein : le dépecer, à mains nues, de préférence.
____________________________________________________________________________________________
Didier JOUAULT, pour YDIT-BLOG, nouvelle saison, saison 4, Episode HUIT : premières fois que, journée en excursion à Fontainebleau. On peut suivre chaque semaine, almost. Sauf cette fois : congés, tout le monde part, nul ne lit. Donc. Prochain épisode : Mercredi 1er novembre, on aura du temps cet après-midi là. Ou bien, la flèche <== en bas servira pour activer le retour en arrière.