A la gare saint Lazare, sous l’horloge, allant vers la Normandie
( berceau de la famille : villages, passages, visages des secrétaires de mairie retrouvées d’une mairie à l’autre, agacées ou pétillantes devant le vieux chercheur de racines, mais c’est une histoire pour plus tard, à suivre, celle des états des civils, on y viendra )
YDIT prend le temps d’une étape.
Formule à emporter du docteur zéro, sandwiche ou quiche (salade, c’est la formule plus chère), boisson (can de coke zéro),dessert, « ceux qui sont sur l’étagère du haut, ou alors une viennoiserie si vous voulez, mais c’est pas intéressant pour vous parce que vous y gagnez moins, enfin ça est comme vous voulez je peux vous donner un chausson aux pommes si vous préférez, non, on reste sur le flan coco ? »
A la gare saint Lazare :’on reste sur le flanc, coco’.
C’est moderne comme du Carco, c’est ferroviaire comme du Cendrars, c’est abrupt comme le Rolin de « l’invention du monde »(YDIT l’a feuilleté hier, pas relu depuis vingt ans). Bon pour le service du train.
Les sages agents soyeux et seyants de la SNCF, toujours près, gagnent leur vie en attendant qu’on leur pose une question, ce qui les relie en direct -sans changement à Lisieux- avec les voyantes chères à André Breton (même si les départs pour Brest se font dans une autre gare).
YDIT : Puis-je vous oser une question ?
Les voyageurs immobiles, nourris d’horaires et de pain blanc, frétillent, s’ébrouent, s’enluminent de l’intérieur, tapissent d’avance leurs cerveaux de papiers peints aux couleurs de l’entreprise et de l’horaire net :
-‘Yes Sir!’, dit celui qu’on nomme Robert, et qui porte bizarrement une veste blanche à boutons dorés. L’heure incite plutôt, il est vrai, au long-drink et non à la formule express. « Osez votre question », poursuit-il avec l’accent du middle-ouest normand, « et dans la formule à 7.75, vous avez pris de la pomme? »
– Y en a , répond YDIT de mémoire, mais y a pas que ça.
Y a aussi de la tourbe.
– Bref ? Relance (sans voir) une dame en bleu/pourpre ayant rejoint le groupe des SNCF-gag
– Aimez-vous les histoires? (YDIT sourit)(c’est facile)
– ça dépend qui en fait, Sir, explique le blanc-vêtu, par ailleurs gras comme un Blanc-manger.
Et, oserai-je supplémenter malgré votre titre, et sans compost : sur quoi, les histoires?
Le coup d’œil circulaire d’Ydit lui permet de se ré-assurer à bas prix : pas de police ferroviaire en vue, ni reporters sans rentières cherchant un vieux sujet, et encore moins d’aliénistes en pause -congrès épouillant les quais en quête inquiète du caquet coquet émanant de débris mentaux.
– Une histoire d’ Excellence, ça irait ? C’est chic tendance, l’excellence, non ? Naguère coaché par son SNCF-RH le SNCF-Man opine.
YDIT s’amuse :
En ce temps-là, il passait souvent dans ce qu’on nomme « le cabinet »
dans un ministère familier.
Lui arrivait à pied. A Paris, en général, on a parqué les ministres dans les hôtels 17ème/18ème très prestigieux des plus fortunés des aristocrates d’ancien régime. On y voit des miroirs sur chaque mur. Comme ça, pas d’illusion sur la marchandise.
Après une cour admirablement pavée, proustienne par endroits (et plus d’un journaliste hâtif s’est pris les pieds dans les pavés disjoints de la politique), les informés gagnent le secrétariat particulier du ministre au rez-de-chaussée, un ancien salon aménagé, dorures, cheminée, plafond à hauteur des espérances du ministre, et beaucoup de bazar : parapheurs, épais tas de revues, cadeaux en souffrance, courrier départ, bibelots douloureux, machines diverses, courrier arrivée, briques et brocs, zigues et toques.
Pour le repos de l’âme des conseillers, qui attendent toujours ici avant que le ministre les reçoive, des corbeilles de fruits (ah, une petite figue pour patienter), la machine espresso et ses cartouches variées, des viennoiseries de France. C’est un vieil et encore bel hotel, agrandi, mais au coeur préservé. On découvre des portes cachées dans des murs de bibliothèques, et des escaliers dérobés, poussiéreux, qui ne servent plus aux soubrettes, mais que protègent encore des accès magnétiques.
Ydit : un jour, un soir plutôt, en ces heures où la nuit gagne lentement, il pénètre dans la pièce et ne trouve que des secrétaires affolées , presque balai à la main, « IL ne supporte plus … », dit Suzanne, « …mais on n’y arrive pas, et personne ne sait que faire » ajoute Myriam « …surtout que les sous-sols ont été aménagés en abris et bunkers, on n’a jamais pu détruire, c’est plein de requins, euh je voulais dire de recoins« termine Marie-Jeanne.
D’ailleurs, sous les yeux d’Ydit, deux souris bien élevées se faufilent, très élégantes, se lambinent derrière une moulure, et disparaissent sans laisser de trace.
Mais, en cette toute fin d’après-midi, ça a mal commencé
– Ah, justement, je me disais que ça serait bien que ça commence, votre histoire, Monsieur Didi
– Non pas Didi , YDIT
– Oui, en tout cas vous n’avez pas un train à prendre ? Donc, où c’en est, les souris?
– Mal commencé, début de soirée : le téléphone sonne dans mon bureau. C’est Marie-Jeanne:
« IL veut vous voir.
–Maintenant ? (question idiote)
–Sinon, j’appellerais pas. (Simple constat)
– J’arrive. ( y a intérêt)
Dans le secrétariat particulier de l’excellence, arrivant par une autre porte, en face, surgit Blanchemine, Conseillère aux affaires qui ne doivent surtout pas devenir des affaires, donc y a intérêt à trouver un truc fissa, je te le dis, mon vieux.
YDIT et elle regardent avec l’habituelle compassion le balai des souris. Réapparues, elles glissent vers le salon d’attente du ministre
– Bah quoi, IL vous attend, dit Suzanne.
Blanchemine et YDIT frappent.
Comme d’habitude, la double porte capitonnée ne permet pas d’entendre de l’intérieur. Mais on frappe, c’est l’usage. Excellence es-tu là? Myriam , haussant les épaules : Vous savez Bien qu’ IL entend pas, entrez.
Elles s’y mettent toujours à trois pour éparpiller les conseillers.
Dans le vaste bureau, lui aussi ancien salon 18ème, superbes boiseries d’époque, si on arrive du secrétariat, on découvre l’Excellence de côté, un peu trouble dans le halo prestigieux d’une lampe RAZKO, et la nuit gagne dans les immenses portes fenêtres donnant sur le jardin…
– C‘est pour de vrai comme ça ou vous inventez pour épater ? interroge la SNCF
– Bah, c’est un ministre. Tout de même. Et il y a aussi un feu de bûches dans la cheminée. Avec une vraie odeur de bois. Jusqu’en en été IL aime ça, les cendres. Je continue ? On s’est remis la cravate en place, avant. Bon, sur le bureau , un plateau repas posé de travers sur des piles de rapports d’inspection générale ou de hauts comités ou de missions d’urgence, on voit que l’excellence n’a pas fini son dessert : la glace aux amandes effilées relevées de sel noir de Guérande s’épanouit vers le crémeux. L’excellence ne dit rien, toujours hiéroglyphé tendance hiératrique, terminant de lire dans un parapheur qui culmine le tas.
IL le paraphe, referme le gras volume sec, ne se retourne pas.
On l’aperçoit de côté, on toussote, on redresse le torse, Ydit a refermé la veste, Blanchemine apprêté la jupe .
IL désigne un parapheur en extension juste avant le saut dans le vide, au bord du bureau. YDIT et Blanchemine se regardent, et c’est alors qu’ IL se retourne « Vous pensez vraiment que je vais signer cette connerie ? Si je signe, ya un ou deux millions d’élus qui me tombent sur le poil. Sans parler du PM. C’est quoi, cette réponse au député JOJO sur les piscines? C’est de la pure connerie. Et, vous vous y êtes mis à deux ? J’hallucine. A deux pour ça! Vraiment, j’hallucine. Vous vous souvenez que c’est publié au J.O., ou alors vous avez pris vos fonctions y a deux minutes ? »
Selon les cas (et la force de ce que contient le parapheur), on bredouille, remballe, se racle la gorge. Seuls les très bons, sur le seuil du pouvoir, se lancent dans une argumentation assez drôle et puissante pour s’en tirer sans signature, certes, mais sans honte (ceux-là finiront députés).
L’un des maîtres d’hôtel est entré, il ramasse le plateau-repas, on ne l’entend pas sortir.
IL désigne du menton le parapheur:
‘Reprenez moi ce truc, vous verrez avec Philippe sur le fond,
( Philippe, c’est le dir.-cab, l’homme qui pense loin et sait vite), et au fait, rappelez-moi, combien je vous paie pour écrire des conneries?‘
Pas de réponse.
Seuls les prétendants à ‘futur député’ osent sussurer un truc du genre :« Trop pour ce parapheur-là, Monsieur le Ministre, mais hier vous avez fait le buzz avec le discours que je vous ai préparé toute la nuit pour votre intervention devant la commission internationale des avancées significatives de l’action ministérielle implicite.. »
Il se retourne sur l’amas de parapheurs, fait un geste sans regard.
On sort. Blanchemine retrafique la ceinture de sa jupe (photo non contractuelle)( elle a tendance, la jupe, à remonter un peu avant de voir le ministre).
‘Ça fait chier, j’aurais presque envie de pleurer, je t’avais bien dit que ça passerait pas, YDIT, en plus on a l’impression d’avoir reçu la fessée comme en petite section de maternelle à Bouhyu’.
YDIT ( sans dériver sur l’hypothèse de la fessée, c’est pas le moment) (et mauvais imitateur) : ‘Au fait, rappelez-moi, combien je vous paie pour écrire des conneries?’
Puis, il tend le doigt vers le sol, un coin sombre : le maître d’hôtel, jeune rigolo séducteur, fait son numéro avec les secrétaires ( le temps a passé, il n’en reste que deux), a posé le plateau par terre.
« Bah, quelle histoire », fulmine le SNCF sans vapeur ? Et donc…
(photo non contractuelle)
Didier JOUAULT, pour YDIT-SPO, 18 bis : « Sur le parquet 18ème en point de Hongrie, d’élégantes souris grises grignotent gaiement à s’en griser la gamelle de son Excellence. » A suivre …